Urgence humanitaire : les œuvres témoignent
À Genève, quatre expositions abordent la migration et la question des réfugiés. Un moyen pour voir autrement des réalités stigmatisées.
Art et anthropologie aux Berges de Vessy
« Urgence humanitaire » regroupe trois expositions présentées aux Berges de Vessy, à Genève : « Destination Croix-Rouge », « Architectures d’urgence » et « Exodes-Exo Mattresses ». Chacune interpelle la condition des réfugiés, déplacés et migrants contraints à l’exil dans l’espoir d’une vie meilleure. La réalité est bien trop large pour être embrassée d’un seul regard, raison pour laquelle il est toujours salutaire de multiplier les points de vue. Ces trois expositions montrent ce que l’actualité ne permet pas de voir. Elles prennent leur temps pour expliquer et rendre compte d’une réalité complexe, souvent déformée ou fantasmée au risque de creuser l’incompréhension et d’accorder crédit aux discours populistes qui sévissent un peu partout en Europe.
Située au rez-de-chaussée de la Maison du futur, l’exposition conçue par la Fondation Braillard, en collaboration avec l’École nationale supérieure d’architecture de Paris Belleville, présente un travail documenté sur l’ancienne « jungle » de Calais. Les installations montées de la main même des réfugiés ont fait l’objet d’études de la part des étudiants en octobre 2015. Sur place ils ont fait le constat que la jungle de Calais était « l’avatar français du modèle qui connaît le plus grand développement dans le monde, qui abrite près de 2 milliards de personnes sur la planète et près de 30% de sa population : le bidonville, le quartier précaire, la ville informelle […]. »
Ils en ont défini les limites à la fois physiques, structurelles et humaines à travers une série de plans et de témoignages recueillis sur le terrain. Il en ressort une lecture à plusieurs niveaux, une leçon sur l’architecture des camps et de ses schémas d’organisation spécifiques. Véritable source documentaire en lien avec une réalité méconnue, et aussi, travail d’étude sur l’art de la construction de fortune, de l’urbanisme sauvage et de l’organisation informelle, cette exposition enseigne, transmet et informe.
Les récits de vie captivent, et au-delà, on constate les moyens dérisoires utilisés pour vivre le quotidien dans la dignité, la créativité bâtisseuse des uns et le sordide et la rudesse des conditions d’exploitation des autres. Une « jungle » humaine qui témoigne non pas d’une crise de la migration mais bel et bien d’une crise de la gestion des conflits et du droit international.
À l’étage, « Destination Croix-Rouge » mise sur l’immersion pour informer et sensibiliser le visiteur aux enjeux humanitaires. Des bornes interactives, des vidéos, un décor (bus, barque, rickshaw), ici tout est fait pour se mettre dans la peau des habitants de six pays : l’Éthiopie, le Ghana, Haïti, le Honduras, le Népal et les Philippines. L’objectif est d’informer en amont du spectaculaire, de l’actualité brûlante et des catastrophes qui ne disent rien ou si peu sur le travail de prévention que la Croix-Rouge met ici au devant de la scène. « Prévention des catastrophes, réduction des risques et sensibilisation sont trois notions clés du travail de la Croix-Rouge suisse » communique l’organisation.
Suivant le parcours, on ne peut s’empêcher de réfléchir aux conséquences des politiques internationales. Car si l’action humanitaire apparaît comme étant le premier recours en cas de catastrophe ou de guerre, elle est la marque du manque d’investissement dans la prévention et dans l’émancipation des populations.
Le troisième espace d’exposition présente les œuvres photographiques de l’artiste Vanna Karamaounas connue aussi sous le nom d’Iseult Labote, et par ailleurs éditrice de L’Art à Genève. Intitulée « Exodes – Exo Mattresses », la série de photographies prises ces dernières années, montre des matelas, sans aucun artifice ni mise en scène. Le spectateur se voit ainsi confronté d’une manière frontale au déplacement, au précaire, au dérisoire, à la misère d’une vie en transit, à travers ces traces d’exil. Ces matelas et leurs couvertures, dans les centres urbains, dans des maisons abandonnées, en Europe, de la France à la Grèce, témoignent par leur simple présence aussi bien des expériences vécues par les uns que des politiques menée par les autres. Pour l'artiste, « Le matelas, cet objet intime et identitaire est le nouveau territoire que l’on se crée lors de l’expérience de l’exil. On se réattribue alors un espace personnel aux limites éphémères dans lequel on retrouve toutes les traces de l’activité humaine, de la fatigue au repos, de la peur au courage, de la haine à l’amour. » Sans jugement ni intervention, la neutralité des clichés révèle une réalité implacable, sur laquelle les discours nationalistes pèsent sans états d’âme. « Nous sommes tous des enfants d’exode » conclut Vanna Karamaounas.
L’Exil dans l’œil des photographes
L’exil c’est aussi le thème de l’exposition temporaire à voir au musée de la Croix-Rouge. Plus de 300 photographies ont été sélectionnées, toutes en provenance du fonds de l’agence Magnum. Parmi les noms qui ont fait la renommé de l’agence créée au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, Robert Capa et David Seymour, tous deux cofondateurs de l’agence avec Cartier-Bresson et George Rodger. À ce titre, l’exposition couvre plusieurs décennies, des années 30 à nos jours.
85% des exilés à travers le monde vivent dans des pays en développement. On compte à l’échelle de la planète 3,1 millions de demandeurs d’asile et un peu moins de 20 millions de réfugiés, d’après le HCR, l’agence des Nations unies pour les réfugiés. En France, 401 729 personnes sont concernées par l’exil (réfugiés, demandeurs d’asile), soit 0,6% de la population hexagonale ; en Suisse, moins d’1,4% de la population helvétique est concernée. Au regard des enjeux climatiques actuels et à venir, et aussi, du passé qui a montré combien les politiques nationalistes pouvaient être sources de guerre et de conflit, les images d’Exil pourraient aider à faire évoluer les consciences.
Que voit-on ? Des paysans allemands fuir la guerre en 1945, des Maliens en péril sur la mer Méditerranée, des familles syriennes à la frontière turque, des réfugiés exsangues débarqués sur une île grecque, des femmes, des enfants, des hommes pris dans la tourmente d’une histoire qui se construit dans le sang et l’injustice. Que l’on soit devant les photos de Capa, Nikos Economopoulos, Leonard Freed, Werner Bischof, René Burri, Moises Saman, Chris Steele-Perkins, Thomas Dworzak, demeurent ces corps contraints, dépouillés et le sentiment que le progrès humain n’avance pas ou peu.
La scénographie a voulu rompre avec l’accrochage traditionnel. Les visiteurs sont invités à prendre en main des photographies « se crée ainsi un rapport complétement différent à l’image et au destin des personnes figurées » note l’organisation.
Le parcours est enrichi par des œuvres en volume. Celle du Camerounais Barthélémy Toguo ne manque pas d’accrocher le regard. Sa barque en bois croulant sous une pyramide de ballots de tissus colorés, naviguant sur une mer de bouteilles vides symbolise à elle toute seule ces traversées mortifères qui ont transformé la mer Méditerranée en tombeau pour des milliers de personnes. Depuis 1988, selon le site indépendant Owni qui propose un mémorial sous forme de carte interactive*, plus de 14 000 réfugiés sont morts aux frontières de l’Europe, dont 8 495 par noyade.
*Chiffres fournis par les organisations internationales, ONG et association de défense des droits des réfugiés. Voir : ici
« Urgence Humanitaire » aux Berges de Vessy
Du vendredi 9 mars au mercredi 31 octobre 2018. Du mardi au vendredi de 13h à 17h et les samedi et dimanche de 10h à 17h. Entrée libre.
www.lesbergesdevessy.ch/events/view/urgence-humanitaire
https://www.youtube.com/watch?v=Nu1AOzpo_x4&feature=youtu.be
« Exil », musée international de la Croix-Rouge
Du 14 mars au 25 novembre 2018. De 10h à 17h de novembre à mars. Jusqu’à 18h d’avril à octobre. Tarif unique 5 CHF.