Christian Berst galeriste
Christian Berst fonde sa galerie consacrée à l'art brut à Paris dans le Marais en 2005. Il défend ces créateurs hors des sentiers battus, qu’ils soient des « classiques » déjà consacrés par les musées et les collections ou des découvertes contemporaines promises à la reconnaissance du monde de l’art.
Votre rôle dans le monde artistique ?
Depuis près de 20 ans, la galerie s’est attachée à désenclaver l’art brut et à lui donner la visibilité qu’il mérite. Le but était d’amener le monde de l’art à « penser » l’art brut. Car, évidemment, donner à voir, c’est donner à penser.
Désormais les plus grands musées du monde en acquièrent et de plus en plus d’expositions institutionnelles lui font la part belle. Et ça n’est que le début …
Quel a été le déclic ?
Il y a plus de 30 ans, je découvre dans une librairie un ouvrage sur Adolf Wölfli. J’ignorais tout de lui et de l’art brut. À force de recherches sur le sujet, je suis frappé que cet « art sublime », comme le qualifiait Paul Klee, ne soit pas sur les radars. En 2005, je décide de quitter le monde de l’édition dans lequel j’évoluais pour me lancer le défi de créer une galerie spécialisée. Aujourd’hui, nous en sommes à plus de 100 expositions et autant de catalogues publiés, sans compter le prêt de milliers d’œuvres à des institutions dans le monde entier, l’organisation de colloques, la participation à des foires d’art majeures …
Aujourd’hui quelle est votre motivation ?
Aller plus loin. Changer de paradigme.
Pour ça, réunir assez de gens de talent dans le monde – qu’ils soient historiens de l’art, conservateurs, intellectuels, artistes - pour finir de rédiger ce chapitre essentiel de l’histoire de l’art.
Et puis faire en sorte que tout le monde ait facilement accès à ces œuvres nées de l’altérité. À cette leçon d’humanisme, de diversité et d’inclusion, aussi.
Votre rapport au marché de l’art ?
D’une part, c’est la condition sine qua non pour pouvoir continuer à poursuivre les missions que je me suis fixées, mais c’est aussi le moyen de replacer les artistes que je représente au centre du jeu. L’artiste brut n’a que faire du marché, mais la pureté de sa démarche rend ses œuvres particulièrement précieuses, justement. C’est donc une excellente chose que leur cote ne cesse de croître. En même temps, on partait de loin. La vente annuelle de Christie’s à New-York, depuis quelques années, et l’inclusion de l’art brut dans des expositions de galeries de premier plan contribue également grandement à toucher de nouveaux collectionneurs.
Le courant artistique qui vous touche le plus ?
L’art brut, évidemment. Même si je dirais que c’est un champ, plutôt qu’un courant. Mais je vis aussi entouré d’art premier, moderne, contemporain et populaire. Je ne fais pas de hiérarchie, même si l’art brut a été ma vraie révélation. Mais toutes les époques et toutes les cultures ont produit du beau, comment ne pas être éclectique dans ce cas.
La qualité principale du collectionneur ?
D’avoir le tempérament d’un bâtisseur. Œuvre après œuvre il bâtit un édifice qui finit par lui ressembler.
Je plains ceux qui achètent avec les oreilles plutôt qu’avec leurs yeux et leurs émotions. Par chance, les collectionneurs qui s’intéressent à l’art brut sont des gens très indépendants et audacieux, parce que cultivés et curieux. Ils ne se laissent pas dicter leurs choix par l’air du temps.
La qualité que vous préférez chez un artiste ?
L’authenticité, sans doute. Quand il ne cherche pas à plaire, quand il créé sans calcul, sans se sentir obligé de justifier son geste par des références encombrantes, par la pesanteur de l’histoire de l’art.
Donc, lorsqu’il parvient, en toute liberté, à trouver une langue qui donne corps à sa mythologie individuelle – comme aurait dit Szeemann. Et que cette mythologie, toute personnelle qu’elle soit, devient universelle au point d’entrer en résonance avec mon propre vécu.
Croyez-vous à la vente d’œuvres d’art en ligne ?
Oui, pour des artistes déjà reconnus ou pour des artistes qui ne le sont pas mais sont défendus par une galerie de renom. Pour tout ce qui se situe entre ces deux pôles, ça me paraît encore difficile.
Et, pour être franc, rien ne vaut une vraie rencontre entre le public et l’œuvre, presque charnelle. Il se passe alors des choses qu’une reproduction, qu’elle soit dans un livre ou sur le web, ne pourra jamais remplacer, ni même approcher.
Quel est le rôle d’un musée d’art contemporain ?
Il a une lourde tâche, celle de choisir, de conserver et d’exposer l’art de son temps. Et cela au nom de la collectivité. D’où la difficulté : il faut à la fois réussir à être représentatif, et en même temps faire preuve d’assez d’audace pour éviter les choix trop convenus. On fait difficilement une bonne collection à coup de consensus. Il faut de la disruption, aussi.
Que pensez-vous de la prolifération des foires d’art contemporain ?
C’est malheureusement le signe que les gens vont moins en galerie. Beaucoup préfèrent la concentration de l’offre. Peut-être est-ce aussi moins intimidant que de pousser la porte d’une galerie.
Mais c’est donc aussi le signe qu’il y a plus de galeries, et donc plus de professionnels qui défendent davantage d’artistes, ce qui est forcément positif. Sans compter que les foires génèrent probablement des vocations chez les amateurs qui finissent par devenir collectionneurs.
Quelle est la tendance aujourd’hui sur le marché de l’art ?
Difficile à dire. J’ai cependant l’impression que la mode du spectaculaire est un peu en recul, laissant davantage de place à des œuvres plus profondes, plus spirituelles. L’engouement pour l’art brut en témoigne.
Dans une époque incertaine confrontée à quantité d’enjeux cruciaux, tant humains qu’environnementaux, cela répond à un besoin vital de recréer du sens.
L’œuvre d’art est-elle un objet sacré ?
Disons qu’elle n’aurait jamais dû cesser de l’être. Ce n’est évidemment plus le cas lorsque la priorité est de décorer, voire de flatter le statut social de celui qui la possède. Même chose lorsque l’art se mêle de politique. Cela dépasse rarement le premier degré. Ne peint pas Guernica qui veut.
Si l’on s’accorde sur l’idée qu’une œuvre d’art doit nous élever au-dessus de nos contingences, elle ne peut être que spirituelle, voire métaphysique. Donc relever du sacré.
Quel est votre dernier coup de cœur ?
Farnood Esbati, l’artiste iranien que nous allons présenter à la galerie en février et mars. Découvert l’année dernière, j’ai aussitôt résolu de lui consacrer une solo show. C’est une œuvre qui renvoie parfaitement au mystère, au fait de rendre l’invisible visible. En même temps qu’elle témoigne de l’altérité de son auteur – il est autiste – et de la manière géniale avec laquelle il nous « parle », tout en se soignant. Une œuvre délicate, pour gens délicats, dans une époque qui ne l’est plus.
Quelle est pour vous la ville la plus artistique ?
Je ne suis pas sûr de comprendre ce que l’on entend par là. N’importe quelle métropole du monde peut l’être. Tout dépend de la manière dont on la regarde. Est-ce pour son patrimoine ? Ses collections institutionnelles ? Son atmosphère ? Sa vie artistique débridée ? Difficile de trancher.
Je risque d’apparaître comme chauvin si je continue de penser que Paris a énormément d’atouts. En même temps, j’y vis depuis près de quarante ans … ça créé des liens.
Que seriez-vous sans l’Art ?
Un homme incomplet. Même si la littérature, la poésie, le monde des idées m’auraient offert des substituts plus qu’acceptables, l’art reste indépassable.
Pratique :
Galerie Christian Berst – 3/5 passage des Gravilliers, 75003 Paris
Tél. +33 (0) 1 53 33 01 70
contact [at] christianberst.com
Du mercredi au samedi de 14h à 19h