Cristobal Del Puey
Cristobal Del Puey expose au Temple de la Madeleine, au coeur de Genève, ses peintures monumentales.
Cristobal Del Puey, né à Berne, d'origine espagnole, vit et travaille à Genève dans une bâtisse imposante, une ancienne grange revisitée en atelier.
Cristobal peint en grand, ces toiles sont pour la plupart monumentales.
La hauteur de plafond de la grange lui permet de concevoir grand. Ses peintures sont disposées partout, sur les cimaises, à plat sur le sol, sur des chevalets, dans l’ombre ou dans la lumière. Le choc est conséquent pour le spectateur.
La densité chromatique, l’épaisseur de la peinture, les empâtements, les ajouts de matière sur la toile, les contours cassés ou modifiés des châssis, la dynamique entre les personnages extravagants, l’univers de Cristobal est unique.
Cristobal Del Puey, artiste autodidacte, vous commencez à peindre à 35 ans, quel est le déclic ?
A vrai dire, cela a pris un certain temps, à réaliser que la peinture allait un jour changer ma vie d’une façon fondamentale. Se poser des questions, faire des choix, et comprendre, et pouvoir se connecter à cette fascination que j’ai depuis mon enfance à observer cette humanité, qui a toujours été présente autour de moi. Et cela à travers cette façon de l’interpréter qu’est la peinture.
Quelle a été votre première œuvre d’art ?
Si il y a un tableau qui m'a donné une certaine satisfaction alors c’est « Le Couple » (2018, technique mixte, 2 x 3 m.) qui se décline en un jeu de miroir. Je dois dire que les miroirs me hantent, et cela depuis très longtemps. Il me semble qu’ils ne reflètent pas uniquement juste notre image, mais qu’ils nous renvoient, et même parfois aussi de façon brutale, à une certaine réalité, qui parfois nous dérange. Et nous essayons inconsciemment et constamment de l’ignorer, de la cacher, de lui échapper.
Quelle est votre source principale d’inspiration ?
Mon obsession, ce sont les gens. C’est la complexité humaine qui est pratiquement toujours le point de départ de quoi que ce soit, quand je commence à peindre.
L’harmonie, est-ce une condition dans votre travail ?
C’est-à-dire qu’à partir d’un point de départ, quand je peins, je suis connecté avec mon support, comme en étant en état d’osmose, tout en sachant qu’arrivé au milieu d’un certain moment, je vais perdre le contrôle de ce point de départ et être comme un spectateur, se laisser surprendre par le résultat final.
Quels sont les artistes dont vous vous sentez proche ?
Goya, Francis Bacon, Lucian Freud, et bien entendu Velasquez en absolu.
La chanson, la littérature sont de vecteurs de création pour vous. Le grand tableau – « Entre amis », technique mixte, 180 x 200 cm, 2021 – que vous aimez particulièrement évoque la chanson de Renaud « La bande de copains ». Pourtant, l’autoportrait est multiple dans cette scène. On ne voit pas de copain. Qu’avez-vous retenu/puisé/emprunté dans cette mélodie ?
Et bien voyez-vous, la solitude c’est quelque chose dont j’ai besoin pour me recueillir. Travailler seul avec mon support, c’est quelque chose de vital pour moi. Et bien entendu, quand le processus se met en marche, on se questionne, on s’interroge et, en quelque sorte, on se crée une sorte de remise en question perpétuelle. A un moment donné, il me semble être en présence d’un certain nombre de personnes qui me questionnent, d’autres qui m’aiguillonnent, me critiquent, il y a celui qui me dit d’être tenace et de continuer. Un autre s’en moque complètement et me dit d’abandonner. Non, il me semble ne pas être totalement seul. Et je dois en quelque sorte, à chaque travail, me connecter toujours au mieux du possible avec tous ces êtres. Voilà pourquoi j’ai appelé ce tableau « Entre Amis ». Car ils font tous partie de moi-même.
Vous peignez vos paysages comme vos personnages ?
Il est vrai que je peins rarement des paysages. Il me semble être beaucoup plus stimulé cérébralement par les gens que par autre chose. Car peindre des personnes, faire des portraits, cela me fascine de le faire. Dévisager les gens, les observer, les regarder comme ils se tiennent, comme ils marchent. De la façon dont ils parlent, chaque individu est différent. Différent par l’aspect, aussi bien que de l’intérieur. L’intérieur que l’on pourrait définir comme un diamant, avec ses multiples facettes. C’est cette complexité humaine qui habite en chacun de nous, c’est cela qui me stimule, qui m’obsède.
La rédemption, triptyque monumental où les personnages attendent leur mort, la souffrance, la violence sont palpable, entre argent, squelette, malades, monstres. Le visage d’une femme semble adoucir la scène et offrir la rédemption. Cette femme, votre femme, est présente dans la plupart de vos tableaux, vierge rouge, vierge or, vierge jaune, couple, muse. Divine dans vos œuvres, Divine dans votre vie. Parlez-nous de ce tableau.
Effectivement, cela a été une expérience particulière, le fait d’avoir pu créer ce triptyque, « La Rédemption » (2020, technique mixte, 3 x 6 m.). Il est vrai que nous avons toujours quelque chose à nous reprocher ou à nous faire pardonner, ou à transmuter. Et c’est le point de départ. Bien naturellement, cela faisait un certain nombre d’années que je voulais effectuer ce genre de travail de grand format. Car j’avais à peu près la certitude que la grandeur me pousserait à la remise en question, et de la rendre plus acérée afin d’aller au-delà de mes limites, de se faire violence, afin de pouvoir accéder à quelque chose de différent. En effet, cela a été quelque chose d’inattendu. Lorsque j’ai commencé à travailler sur le triptyque, à un moment donné, ma composition initiale a commencé à changer. Voire même à disparaître. En effet, j’avais perdu tout contrôle de mon travail, mon côté émotionnel s’est approprié ma peinture… Dès lors, j’étais pris dans l’étau de l’angoisse, du doute, et de ne plus savoir que faire. De ne pas succomber à la panique. Passer même des nuits blanches en affrontant les multiples questions qui me harcelaient. Ai-je échoué ? Me suis-je trompé ? J’ai vu trop grand ? je n’avais pas d’autre choix que de continuer à travailler, à essayer de continuer à peindre, sans savoir par où entrer et par où sortir … C’est donc dans une sorte de désespoir que j’ai commencé à ajouter et à coller toute sorte de matériaux sur la toile : chiffons, draps de lit, papier, carton, métal, du verre, des plastiques, à créer des épaisseurs, des formes, du relief, afin de donner à ses images une forme de vie comme si elles avaient une âme. Et pendant tout cela, en même temps, j’essayais de refaire une nouvelle composition à l’aide d’une multitude de photos recueillies pendant une quinzaine d’années. Des revues d’actualité, des reportages professionnels, des évènements médiatiques, des histoires de guerre. Et bien entendu, voyez-vous, tout ce processus, tout ce travail a été propulsé, compressé, par cet instinct d’auto-critique, constamment, inlassablement, à se poser des questions et à combattre les doutes qui nous hantent. J’ai vécu cela comme si c’était quelque chose de violent. Comme un cri qui sort du fond de la gorge, comme un barrage qui explose sous le poids de l’eau, comme un tsunami. Et cela rend impossible de gérer quoi que ce soit. Effectivement, mon subconscient cérébral, mon émotionnel profond, s’est emparé totalement de mon travail. Et je n’avais plus le choix, malgré toutes mes tentatives, j’avais réellement perdu absolument toute maîtrise de ce que je faisais. Donc, il ne me restait plus qu’à attendre, être patient, comme un spectateur qui regarde une scène de théâtre, et de se laisser surprendre du travail rendu. Et je dois vous dire que je n’étais pas réellement satisfait de ce résultat final. Le travail est là, fini. Et il faut l’accepter tel qu’il est. Après des jours, des nuits, des semaines, des mois, et voilà ! Le résultat a été imprévisible. Et il est là. Et je ne peux rien y faire. Et je dois l’accepter tel qu’il est, avec sa réalité. Pas d’autre choix que de l’accepter. Tout en s’avouant que cela nous a entièrement échappé.
A l’occasion du solo show au Temple de la Madeleine, vous créez une peinture monumentale, Geneva Paradiso. Est-ce une fresque genevoise ?
Et bien, on peut l’apercevoir ou l’interpréter de cette façon. Voyez-vous, le thème du Paradis a été représenté maintes fois, alors j’essaye de le faire différemment en témoignant, par exemple, d’un certain respect pour la femme. Et donc, inverser le sens des choses et se dire pourquoi pas … Donc j’attends avec grand intérêt les réactions des visiteurs.
Qu’espérez-vous de cette exposition ?
A vrai dire, c’est pour moi un moment tout-à-fait unique. Le Temple de la Madeleine me donne la sensation d’être un bâtiment hors norme en comparaison à d’autres endroits religieux. A peine vous entrez à l’intérieur, vous percevez tout d’abord l’austérité des lieux. Mais si vous vous laissez aller à ressentir l’endroit, avec votre côté sensible, le temple n’a pas besoin de vous parler. Car chaque pierre, mur, fenêtre, ou fenêtre condamnée, ou porte fermée, bouchée, les agrandissements qui ont eu lieu, les étages qui n’existent plus, comme les fenêtres qui n’ont plus de fonction, c’est tout simplement surprenant et même très mystérieux. Le Temple ne vous parle pas, mais bien plus que cela, il vous raconte une histoire infinie dans votre subconscient émotionnel, un conte sans fin de tous ces gens qui y ont vécu, qui y sont passé, qui l’ont édifié, construit, modifié, agrandi depuis la nuit des temps. C’est comme si le temple vous ouvre les robinets de son passé. Et vous êtes soudainement submergé. Oui, c’est une chance et un honneur de pouvoir exposer au Temple de la Madeleine.
Un vœu ?
Ecoutez, si j’ai réellement le choix, c’est de mourir en peignant.
Pratique : GENEVA PARADISO
Cristobal Del Puey solo show au Temple de la Madeleine, 15 rue de la Madeleine, 1204 Genève
Contact : www.cristobal.ch – Tél. +41(0)79 563 89 83
Exposition du vendredi 18 août au vendredi 15 septembre 2023
Ouverture du Temple de la Madeleine :
Lundi : fermé
Mardi à dimanche : 12 à 17 heures
Ouverture prolongée les mercredis et les vendredis jusqu’à 19 heures en présence de l’artiste
Vernissage vendredi 18 août, dès 17h30
Finissage vendredi 15 septembre, dès 17h30