Thierry Barbier-Mueller, collectionneur
De Genève à Lausanne, Thierry Barbier-Mueller nous entraîne, à pas de loup, dans son univers avec comme fil d’Ariane, une certaine conception de l’art qui nous réconcilie avec l’essence de l’art.
Thierry Barbier-Mueller, collectionneur. « A chair and you »
Si la chaise m’était contée…
Besoin d’émerveillement en ce début d’année ? Offrez-vous une parenthèse enchantée au MUDAC, à Lausanne. Jusqu’au 26 février 2023, a lieu une présentation inédite de la collection de chaises de Thierry Barbier-Mueller, ingénieusement mise en scène par Robert Wilson.
« Le génie n’est que l’enfance retrouvée à volonté (…) », dixit Charles Baudelaire.
Robert Wilson s’en fait l’écho en nous plongeant dans un « wonder world » d’une insoutenable légèreté. Du haut de sa chaire, il nous profère une leçon de maître sous forme de comptine, un parcours subtilement initiatique construit autour d’un opéra en quatre actes où chaque chaise, prototype unique pour la plupart, nous conte son aventure singulière. Chaque pièce d’art questionne, instruit sur l’histoire de l’architecture, du design et de l’art de ces dernières décennies. De découverte en découverte, le regard porté sur cet objet emblématique du quotidiens’opère avec un filtre, un tantinet polisson, savoureusement poétique.
En prélude, un sifflotement enjoué, telle une ode à la joie, nous convie à danser la farandole, sur une plateforme, d’une pureté étincelante, nommé Bright space, entre des parterres savamment élaborés de chaises aux formes imposantes, destructurées, minimalistes, élégantes, effrayantes parfois.
Poursuivant la balade heureuse dans ce jardin imaginaire, nous nous faufilons à l’intérieur d’une étroite galerie d’images géométriques et chatoyantes. Ce tunnel ludique nous conduit au « Medium space », un autre univers où nous sommes accueillis par l’appel envoûtant du tamtam. Nous cheminons parmi moultes oeuvres en bois, puis nous nous attardons devant une vitrine, derrière laquelle une installation de pièces sacralisées offre la vision d’un tableau en quatre dimensions.
La déambulation se poursuit sobrement autour de mini pièces d’architecture jusqu’à cette porte basse au-dessus de laquelle apparaît l’hologramme d’une chaise nous invitant à pénétrer au coeur du « Dark space ». La petite « Alice »qui sommeille en nous est surexcitée à l’idée de franchir le pas vers l’inconnu. L’attente est comblée. De l’obscurité jaillissent des chaises fluorescentes, en forme de croix, de virus et autres, indescriptibles. Nous nous attardons dans cette atmosphère galactique évoquant une nuit étoilée, bercés par Spiegel Im Spiegel d’Arvo Pärt.
Après cette pause astrale, suit le saut sidéral dans l’espace Kaleidoscope, un corridor métallique, où des lucarnes percées dans une paroi argentée permettent de distinguer, au loin, quelques merveilles inaccessibles qui s’apparentent à des ouvrages d’orfèvrerie.
La sortie vers la lumière indique le retour à l’écrin de départ. La boucle est bouclée. Au détour, nous attend un banc fripon d’où émane un rire cristallin. Une récompense, sans doute, pour avoir résisté, tout le long de ce parcours interactif, à la tentation de faire corps, toucher, s’échoir, un instant, sur une assise d'exception. L’attrait de ce dernier jeu retient tant et si bien notre attention que nous peinons à quitter les lieux, le sourire aux lèvres.
En définitive, le partage avec le public de cette collection prodigieuse, fruit d’une trentaine d’années de recherche, éclairée par la finesse de perception de l’As de la scénographie, lève, accessoirement, un coin de voile sur la personnalité de l’énigmatique collectionneur Thierry Barbier-Mueller, acteur discret de la vie genevoise.
Apparemment, franchir le pas ne fut pas une sinécure car, selon lui, « collectionner est un acte intime », « une pulsion aussi irrépressible que mystérieuse ». Lors du discours inaugural, où il rend un vibrant hommage au génie de Robert Wilson ainsi qu’à toute l’équipe ayant concouru à la réalisation de l’exposition, il explique que « la force tranquille de persuasion de Chantal » (Directrice du MUDAC) a eu raison de sa résistance, pour notre plus grand bonheur, serions-nous tentés d’ajouter.
Nous l’avons vu aussi en philanthrope pragmatique et visionnaire, soucieux des questions environnementales, lors de l’inauguration du projet « Plateau de Frontenex » à Genève en septembre dernier. En effet, ce complexe immobilier certifié THPE (Très Haute Performance Énergétique) s’illustre par la qualité de ses matériaux de construction, voulus durables et écologiques, tout en offrant des appartements aux loyers modérés, dans un environnement qui tient compte de l’équilibre entre végétalisation, urbanisme et art.
Thierry Barbier-Mueller est pugnace, persévérant, patient. Il aura fallude la détermination, lutter contre vents et marées et savoir « accompagner le sens de l’eau » selon son expression, pour achever cette réalisation correspondant à ses aspirations. Esthète et fin connaisseur, il a, notamment, fait appel au paysagiste Michel Desvigne ainsi qu’aux artistes Pablo Reinoso, Pol Quadens et Barthelemy Toguo, dont les oeuvres, parmi lesquelles deux sculptures de chaise, agrémentent le parc arboré de bouleaux. L’installation de Toguo, « un chemin d’espoir », y traite de la migration humaine, de l’énergie vitale et de la capacité régénératrice de celle-ci.
Ainsi, de Frontenex à Lausanne, Thierry Barbier-Mueller nous entraîne, à pas de loup, dans son univers avec comme fil d’Ariane, une certaine conception de l’art qui nous réconcilie avec l’essence de l’art.
Nakhana Kadiatou Diakite Prats
Copyrights pour toutes les images des vues de l’exposition © Lucie Jansch
Pratique :
mudac
Musée cantonal de design et d’arts appliqués contemporains – Place de la Gare 17 – 1003 Lausanne – Suisse
ouvert : lundi, mercredi, vendredi, samedi, dimanche 10:00 - 18:00 / jeudi 10:00 - 20:00 / mardi Fermé