Ugo Rondinone
Pour sa troisième exposition carte blanche XL, le MAH invite Ugo Rondinone (1964-) à s’emparer de sa collection et de son bâtiment principal pour créer une expérience esthétique unique. Dans le cadre de l’exposition, plus de 200 pièces de la collection du MAH sont ainsi sollicitées et mises en scène dans un dialogue continu avec les œuvres d’Ugo Rondinone, dont de nouvelles productions spécialement réalisées pour l’occasion.
WHEN THE SUN GOES DOWN AND THE MOON COMES UP– MAH- Genève, jusqu’au 18 JUIN 2023.
Au Petit Palais à Paris, Ugo Rondinone exposait des danseurs au repos assis au milieu des statues XIXe. Ces corps figés raisonnaient avec ceux qui dansaient dans la vidéo, Burn to Shine, autour d’un feu, sous la lune du coucher du soleil jusqu’à son lever.
Invité à revisiter les collections du MAH, Rondinone avait aussi assis ses Nudes, uniquement masculins, dans la salle des armures, parmi des paysages et des natures mortes de Vallotton. Ces moulages d’après nature, en cire mêlée de terres provenant de différents continents, ont été retirés. Réchauffement climatique oblige ces cires ne supportaient plus la chaleur inhabituelle de l’hiver. Le soleil, motif important de cette exposition, leur aurait été fatal, alors l’artiste a remplacé les sept nus adossés aux murs par un clown allongé sur le dos au milieu de la salle.
Le nu, essentiel dans l’apprentissage académique comme le moulage longtemps polémique en sculpture avant que Rodin ne l’affirme comme un moyen essentiel de la création, parle évidement du corps, de nos désirs et de nos fragilités et s’inscrivent dans une histoire de l’art. Le clown, personnage grotesque se fait le double de l’artiste. Il évoque, surtout à Genève l’essai de Starobinski : L’Artiste en saltimbanque. Cet amuseur solitaire et mélancolique, est particulièrement incongru dans une salle d’armes dont les vitrines et les drapeaux sont voilés d’un crêpe noir, comme mis en berne. Haut en couleur, il ne se présente pas dressé viril et guerrier comme les hallebardiers de Hodler mais allongé comme les femmes de Vallotton.
Rondinone, artiste polymorphe et cultivé travaille au présent avec le passé. Il organise des face à face et des oppositions symétriques qui révèlent des liens subtils et l’équilibre des forces. Deux immenses cercles de bronze, couronnes de branches, l’un or, le soleil qui accueille les visiteurs, l’autre argent, la lune, a mis parcours, ponctuent l’exposition. Les hommes guerriers historiques de Hodler sont à droite et les femmes couchées de Vallotton à gauche. Les tableaux sont posés au sol, comme des sculptures sur d’étroites cimaises dont le revers présente les dessins préparatoires aux peintures. Masculin et féminin se joignent en Adam et Eve, sculptés par Rodo, gravés sur bois par Dürer mais aussi dans une suite de xylographies de Vallotton. Cruelles, Les Intimités saisissent les vicissitudes de la vie en couple, tout comme La Dispute, scène de ménage et comédie boulevardière, deux nus grandeur nature dont les poses rappellent celles des images du couple biblique. Cette réminiscence iconographique ironique n’est pas la seule. Comme le crocodile qui remplace le dragon tué par Percée, Vallotton à la dent dure et le sourire mordant. La pantomime et le clownesque ne sont jamais loin.
Hors du paradis le temps est compté c’est pourquoi Rondinone associe nos mythiques ancêtres à des horloges. Provenant de la collection, elles sont soclées comme des sculptures. Elles renvoient aussi aux disques de verre coloré, cadrans sans aiguilles de Rondinone, série justement intitulée Horloges. Il faut pour voir ces vitraux passer devant une palissade en bois peinte en blanc qui s’ouvre d’elle-même comme dans un rêve - et comme les portes des toilettes du musée - sur une longue salle baignée d’une lumière colorée. Les grandes baies couvertes de gélatines multicolores font face à des tableaux en relief en forme de fenêtres aux contrastes de couleurs complémentaires alors que ces disques de verre monochromes sont suspendus dans le vide à différentes hauteurs.
L’ombre n’existant pas sans la lumière, à cette installation toute en transparence et en couleur succède une salle noire avec au fond une monumentale porte de cachot et au-devant une peinture à fond noir mouchetée blanc, image de constellation. Sur un des murs, à hauteur d’homme du temps où l’on portait armure sont accrochés les casques que l’on ne peut justement plus voir dans la Salle des armures. A n’en pas douter les hallebardiers de Marignan n’étaient pas aussi grands que ceux peints par Hodler et l’époque plus sombre que dans les reconstitutions fantasmées de l’Histoire.
La claire voie en bois peinte en blanc, laissant juste passer des rais de lumière, couvre aussi les fenêtres de trois salles en enfilade. Chacune d’elle est entièrement occupée par une sculpture monumentale, imbrication de formes géométriques floquées de terre. Elles empruntent à l’esthétique minimale dans un matériau familier de l’Arte Povera. La terre, comme le soleil sont surtout et plus simplement des éléments nécessaires à nos vies.
L’eau en est un autre. Elle est présente, provenant de différentes mers, enfermée dans le corps de chevaux bleus en verre, qui comme le clown, font face à des paysages. Ici ce sont des lacs et des montagnes peints par Hodler. Les différents bleus et les lignes d’eau ou d’horizon dialoguent.
L’horizontalité se fait plus grave avec Valentine étendue, aux prises avec la mort que Hodler dessine au jour le jour dans une démarche sans précédent. Installés dans la salle permanente réservée aux vitraux de la Cathédrale Saint-Pierre dans une ambiance de chapelle, ces feuilles et ces carnets ouvrent sur une autre intimité que Les Intimités de Vallotton, plus tragique et plus fragile. Cette pratique du dessin renvoie encore aux Diary Paintings, petites toiles sur lesquelles Rondinone a dessiné au trait, accrochées autour de ses sculptures Landscapes.
Deux évocations d’appartements, vert pour Hodler, rouge pour Vallotton, deux couleurs complémentaires, associent le bric-à-brac des ateliers des artistes académiques du XIX° et les intérieurs surchargés des Cocottes. Ils miment les cabinets d’amateurs et les « period room » muséales en plus éclectiques. Ces garçonnières, mises en scènes avec brio par l’architecte genevois Frédéric Jardin redoublent d’échos. La Force de Hodler est accrochée chez Vallotton, des paysages et un nu d’homme de Barthélemy Menn, son mentor, chez Hodler. Plus espiègles, des photo-montages de portraits des maîtres en couples insinuent quelques amitiés particulières. Des pieds antiques et de très nombreuses chaussures de femmes associent collection et fétichisme. Tout cela n’est que fiction. L’appartement de Hodler avec vue sur le lac était même meublé moderne par Josef Hoffmann. Ce ne sont là que des mises en scènes d’objets d’un musée encyclopédique. De belles esquisses de Appia disent, plus sobrement, l’importance de la construction de l’espace théâtral au service d’une narration.
Ce que la description rend touffu, voire confus est en fait d’une grande clarté. Plus que XXL, la taille ne faisant pas toujours la grandeur, cette exposition, véritable installation, est magistrale, sans jamais faire la leçon elle invite le regardeur à varier les points de vue.
Rondinone, en sculpteur fait alterner des salles pleines, avec peu et grand ou beaucoup et petit, et d’autres aérées. Des espaces lumineux et d’autres plus sombres, les oppositions très marquées s’accompagnent de multiples renvois à la fois iconographiques, historiques et plastiques. Les œuvres, les siennes et celles de la collection dialoguent pour qui sait voir bien au-delà d’apparentes oppositions. Vallotton, Hodler et Rodinone font bon ménage, à trois. La citation de Valery « Il dépend de celui qui passe- Que je sois tombe ou trésor - Que je parle ou me taise - Ceci ne tient qu’à toi - Ami n’entre pas sans désir » pourrait être gravée, comme elle l’est au fronton du Palais de Chaillot, à l’entrée de WHEN THE SUN GOES DOWN AND THE MOON COMES UP.
https://www.artageneve.com/lieu/musees-fondations/mah-musee-dart-et-dhis...