Skopia : Franz Erhard Walther

Cerise Dumont
29 janvier 2025

La galerie Skopia propose une exposition rétrospective consacrée à l’artiste allemand Franz Erhard Walther. Occupant les deux espaces de la galerie, ce solo show révèle l’étendue des recherches plastiques de l’artiste, mêlant œuvres textiles, peintures et expérimentations typographiques. 

Pionnier de l’art relationnel, Franz Erhard Walther (1939) a remis en question les frontières de la création artistique en redéfinissant le rôle du spectateur et en transformant ce dernier en acteur de l’œuvre. À la rue des Vieux-Grenadiers, Skopia lui consacre une vaste exposition regroupant des pièces historiques réalisées entre 1958 et 1989. La galerie offre ainsi au public genevois l’occasion de découvrir ou redécouvrir le travail de cet artiste majeur.

Dès les années 1960, Franz Erhard Walther a amorcé une révolution discrète mais profonde dans l’art contemporain : il ne s’agissait plus de simplement contempler une œuvre, mais de l’activer, d’en faire partie. En rupture avec la tradition de spectateur passif, Walther a conçu ses œuvres comme des dispositifs à activer en engageant le corps. Ses sculptures textiles, par exemple, étaient des invitations à la manipulation et à l’expérimentation. Cette dynamique est venu questionner la nature même de l’œuvre d’art. Pour l’artiste, ce n’était pas l’objet qui comptait, mais l’expérience qu’il génèrait : le spectateur, par sa présence et son interaction, complètait le processus artistique. Cette approche relationnelle a préfiguré l’art participatif et a durablement inscrit Walther parmis les artistes qui comptent.

drei Elemente rot, 1981, 246x310x40cm

L’exposition de Skopia met en lumière des œuvres emblématiques de Franz Erhard Walther, notamment certaines de ses célèbres sculptures en tissu. Ces pièces, à l’époque cousues par sa femme, ingénieure textile, ont marqué une étape déterminante dans sa carrière. À la fois malléable et proche du corps humain, le tissu est devenu un matériau central de sa pratique. Loin d’être intimidantes, ces grandes installations appellent le toucher et l’interaction. Leur taille invite à une appropriation physique, posant une question clé : le corps du spectateur devient-il un prolongement de l’œuvre ?

Outre les pièces textiles, les visiteurs de la galerie ont également l’occasion de découvrir des œuvres plus intimistes, comme des dessins rehaussés à l’aquarelle ou des peintures aux couleurs vibrantes. La variété de l’accrochage donne un rythme fluide à l’exposition, alternant grandes pièces isolées et regroupements sériels.

Les Schichtenzeichnungen (« Dessins en couches ») se distinguent par leur processus créatif en deux temps : des œuvres initiales ont été réinvesties des années plus tard, ajoutant de nouvelles strates de sens et de matière. Leurs teintes vives, rouges, jaunes, orangés, font paraître monumentaux ces petis formats (29,7x21cm). L’artiste semble y déconstruire le médium pictural pour mieux en abstraire (en extraire?) l’essence : couleurs et gestes viennent se superposeer à une production plus graphique. Le résultat est d’une spectaculaire densité.

Une autre facette de la démarche de Franz Erhard Walther se retrouve dans les Werkzeichnungen (Dessins de travail).Ces pièces, encadrées de façon à pouvoir être vues recto-verso, reflètent une pratique quotidienne et méticuleuse, où l’acte de dessiner devient une méthode d’investigation et d’expérimentation constante et quotidienne.

Enfin, les expérimentations typographiques comme les Wortbilder (Mots-images), réalisées durant les études de graphisme de l’artiste, témoignent de son intérêt pour le langage en tant qu’objet plastique. Dans des œuvres comme Epitaph (1958), Franz Erhard Walther  joue sur l’association entre les formes, les couleurs et les mots pour ouvrir l’imaginaire du spectateur, tout en explorant de nouvelles voies de communication visuelle.

Avec cette exposition, la galerie Skopia propose une rétrospective qui rend pleinement justice à la richesse du travail de Franz Erhard Walther. Les œuvres présentées permettent de mieux comprendre cet artiste qui, depuis plus de six décennies, réinvente les modalités de l’interaction entre l’art et son public, faisant du spectateur un participant actif et engageant. Elle offre une occasion rare de redécouvrir une œuvre pionnière qui, même des décennies plus tard, conserve toute sa pertinence.

 

crédit photos : © Julien Gremaud, courtesy Franz Erhard Walther and Skopia

Pratique : exposition jusqu'au 1er mars 2025

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