Sang Woo Kim à la Galerie Sébastien Bertrand
La galerie Sébastien Bertrand présente l’artiste sud-coréen Sang Woo Kim dans deux solo shows prenant place dans ses murs. Dans Glance, on pourra découvrir les autoportrait à l’huile de l’artiste, tandis que Ways of Seeing rassemble ses transferts de pigments.
Le regard est omniprésent dans la double exposition de la galerie Sébastien Bertrand consacrée à Sang Woo Kim (1994).
L’espace principal est dédié à Glance, une exposition de peintures à l’huile – des autoportraits – de l’artiste sud-coréen. Ayant déménagé pour vivre au Royaume-Uni alors qu’il était enfant, Sang Woo Kim a été marqué par cette expérience de vie qui imprègne aujourd’hui sa pratique artistique : « Tout mon travail découle de mon histoire, de mes expériences sociales et de l'altérité qui m'a été imposée en grandissant sous le regard occidental dans un monde marqué par la discrimination et les préjugés. C'est une exploration de mon essence, de mon autonomie et de mon identité ».
Ces autoportraits pris de face – mais dont les yeux regardent hors-champ – frappent par leurs cadrages très resserrés. Le visage de Kim est souvent tronqué, on n’en voit qu’un fragment. L’artiste, qui est aussi mannequin, tente de s’y réapproprier son image. Ses peintures l’aident à se confronter à son physique, à dénouer certaines des insécurités développées par son expérience de la discrimination et du racisme. À travers ses toiles, l’artiste y revendique son image et son identité.
Tous les portraits se concentrent sur les yeux de l’artiste. Kim s’y montre vulnérable tant physiquement – des lunettes ou un œil tuméfié rappellent la fragilité du corps – qu’émotionnellement. Il s’expose, dans tous les sens du terme. La petite taille des tableaux ainsi que l’accrochage très aéré imposent aux spectateurs de s’approcher tout près, trop près peut-être, de rentrer dans l’intimité du sujet bien que le regard du modèle n’y invite pas. Kim affirme d’abord peindre pour lui-même, pour réussir à traverser le monde. Ses peintures captent sa relation changeante à lui-même.
La manière de peindre de Sang Woo Kim diffère d’une toile à l’autre. Être en perpétuelle évolution, ceci se reflète dans sa façon de peindre. Son énergie et ses émotions changent chaque jour, c’est pourquoi toutes les œuvres sont différentes, variant en style et en échelle. Une touche délicate et des coloris solaires peuvent succéder à une toile plus sombre aux traits plus dynamiques. L’important pour l’artiste est d’être honnête et d’être présent à lui-même et au monde, sans filtre.
Le deuxième espace de la galerie est dédié au même artiste, qui y présente une autre exposition : Ways of Seeing. Contrairement à Glance, Sang Woo Kim ne s’y représente pas directement. Dans ses toiles évoquant des collages de photographies, il poursuit sa réflexion autour du gaze en juxtaposant des images d’archives représentant toutes le regard. Ses œuvres, où le bleu et le noir et blanc dominent, dégagent une sourde atmosphère d’étrangeté mélancolique. Leur aspect flouté, presque pixelisé, suscite le trouble.
Du point de vue du sujet, Sang Woo Kim est davantage tourné vers l’altérité que dans ses autoportraits. Comme deux face d’une même pièce, ces dimensions de son travail se complètent et s’équilibrent. Le gaze est inversé, l’artiste n’est plus un objet regardé mais un regardeur à son tour – à l’image du public ayant vu ses autoportraits. Avec ces œuvres, Kim semble interroger le monde où nous vivons, un monde dominé par les images dans lequel les incessants stimuli visuels paraissent être de plus en plus déconnecté de la réalité qu’ils saisissent. Tantôt cauchemardesques, tantôt oniriques, les images nous rappellent l'importance existentielle de la vision tout en exposant la vulnérabilité de nos sens à la manipulation extérieure.
Dans son travail sur le regard, l’artiste explore les limites de ses mediums et de ses procédés. Il s’attache ainsi à créer des œuvres uniques, des photographies travaillées comme des tableaux : « J'ai réussi à créer des photographies qui sont des peintures. […] Mes transferts de pigments sont manipulés et peints après la production ; ils ne pourront plus jamais être reproduits à l'identique. Ils sont singuliers, uniques ; je crois que ce sont des peintures ».
Les œuvres sont produites par le transfert de pigments directement sur la toile, une technique d’impression artisanale mêlant peinture et photographie développée par l’artiste. Après l’impression, il manipule les images en utilisant ses doigts, des pinceaux ou des éponges pour réussir à obtenir l’effet recherché. Pour ces œuvres, Kim s’est inspiré des « painterly prints » de Robert Rauschenberg, réalisés dans les années 1960 et incorporant des images découpées tirées de journaux et de magazines.
Le matériel iconographique de Kim est plus contemporain : d’obscurs flux Reddit, des zooms d'iPhone, des images recadrées à partir de photos, de films, de documentaires ou de magazines. Les images trouvées sont ensuite recadrées et manipulées par l'artiste, qui se les réapproprie ainsi. En observant ces fragments de portraits, une sorte de jeu de miroir s'active entre la réalité et la réinterprétation qu'en fait l'artiste. Par le décalage ainsi opéré, les transferts de pigments de Sang Woo Kim incitent le spectateur à s'interroger sur la nature même des images dont il fait l'expérience.
Crédits photo :
Reproductions : Nicola Morittu
SANG WOO KIM, The Corner 004, 2024, Oil on canvas, 17 x 12 x 3 cm., 6 ¾ x 4 ¾ x 1 ¼ in.
SANG WOO KIM, The Slit You Made 004, 2024, Oil on canvas, 26 x 36 x 3 cm., 10 ¼ x 14 ¼ x 1 ¼ in.
Triptyque : SANG WOO KIM, Ways of Seeing 007, 2024, Pigment dye transfer on canvas, 96 x 41.5 x 3 cm. 37 ¾ x 16 ¼ x 1 ¼ in.
Crédits photo :
Vues d’expo : Annik Wetter
Pratique : Exposition jusqu'au 20 juillet 2024 - https://www.artageneve.com/lieu/galeries/galerie-sebastien-bertrand