Sean Shanahan – Espace Muraille
Sean Shanahan est un artiste irlandais né en 1960 à Dublin. il vit et travaille en Italie. C’est à Espace Muraille qu'il présente pour la première fois ses travaux en Suisse. Commissaire d'exposition : Dr. Valentina Locatelli.
« La chose qui compte le plus pour moi, c’est l’intensité. »
Quand et comment la peinture est rentrée dans votre vie ?
A 12 ans j'ai commencé ce parcours. A 16 ans, j’étais déjà convaincu d’exercer ce métier et mon père m’a beaucoup encouragé à suivre cette voie, lui qui aurait voulu être poète.
Votre recherche picturale est-elle essentiellement orientée vers la forme et la couleur ?
Sincèrement la forme et la couleur sont les conséquences de l’émotion. Je travaille le médium de la peinture mais j’aurais pu utiliser d’autres moyens. A part la forme, la couleur et le matériau, qu’aurais-je pu utiliser d’autre ?
La musique ?
Non.
La couleur surgit-elle de l’obscurité pour aller vers la lumière ?
La couleur naît de son obscurcissement. Il y a quelques années, j’ai exposé à la Villa e Collezione Panza à Varese (Italie) dans une grande salle où la lumière est naturelle. La couleur est une lumière filtrée, obscurcie. Je ne cherche pas la lumière mais l’étalonnage de la lumière.
Est-ce qu’on peut dire que l’obscurité est la représentation de la mort qui s’achemine vers la renaissance avec la lumière ?
Sean : Non, ce n'est pas possible.
Valentina : … C’est un peu ce que je disais dans mon interprétation …
Sean : Moi, je dirai qu’on ne peut pas catégoriser.
Dans un certain sens, l’obscurité est le visage de la mort ?
Valentina : Oui mais l’artiste n’est pas parti de l’obscurité, il est passé par l’obscurité mais il est toujours resté dans la couleur, des teintes plus claires, plus beige au début, puis il a une phase plus colorée et, à partir de 2021, Sean a recommencé à obscurcir sa palette. Il a notamment réalisé aussi une peinture qui s’appelle « Dance macabre ». Nous avons tous été confrontés à la mort et au confinement pendant cette période historique du Covid, toute cette expérience nous a isolés et lorsque le virus s’est dissipé cela a été une renaissance pour nous tous. C’est pourquoi, maintenant Sean Shanahan est à nouveau dans une composition chromatique avec cette nouvelle combinaison de couleurs plus lumineuses comme le jaune, le rose, le vert… Toutes les parties distinctes sur lesquelles Sean travaille sont monochromes.
Sean : Deux personnes qui m’étaient chères ont disparues. Je tente de ne pas ignorer ce qui se passe autour de moi. Cela me prend plus de temps et d’énergie de ne pas ignorer. On doit accepter et répondre aux conséquences de la réalité.
La couleur de la peinture est-elle la même sur une toile de lin que sur le MDF (Medium Density Fiberboard) et pourquoi opter pour ce panneau comme support ?
Non, elle n’est pas la même mais ce n’est pas ce qui m’intéresse. Historiquement le MDF est un matériau modeste et neutre, sans rhétorique. C’est un matériau tellement banal sur lequel tout est possible et j’accepte cette évidence.
Le MDF est aussi un moyen pour intégrer la sculpture dans votre travail ? il vous sert de support et de cadre.
Je n’ai jamais travaillé sur des toiles, jamais, parce que je n’aime pas les matières molles. Si j’avais dû peindre sur toile je l’aurais accrochée directement sur le mur, sans châssis. Ici, on parle d’objets, le MDF est aussi sensible que le ciment. C’est un peu comme la peau, chaque trace est indélébile et si le geste n’est pas précis il laisse transpirer le défaut. Ces matériaux industriels sont beaux et j’aime beaucoup cette sensibilité surprenante dans le MDF.
C’est vous qui sculptez le MDF ?
Non depuis 30 ans j’ai le même menuisier qui découpe et taille les formes.
Comment déterminez-vous la géométrie de chaque forme ?
C’est sans aucune doute un rapport entre le plein et le vide. Trouver la tension et l’équilibre. Je me suis rendu compte que, par exemple, le blanc à l’intérieur ou à l’extérieur du cadre est complètement différent. Le cœur, le centre du cadre vide a sa propre intensité.
Si vous peignez le mur d’une certaine couleur alors le cœur de votre œuvre prend la couleur du mur mais avec son propre relief ?
Absolument, la différence est nette.
La peinture de Sean Shanahan naît de la rencontre intime de l'artiste avec la surface bidimensionnelle de l'œuvre, elle prend forme en tant qu'objet-image grâce à la fusion des matériaux qui la composent, elle vit et respire lorsqu'elle entre en contact direct avec le contexte spatial et architectural dans lequel elle est présentée". Dr. Valentina Locatelli
Qu’est-ce qui vous différencie des autres artistes qui peignent des monochromes ?
Pendant 20 ans j’ai fait du dogme chromatique rigide. Et puis j’ai mis le pied sur un hérisson et j’ai changé. La composition ne m’intéresse pas du tout. Mais j’ai changé mon vocabulaire et la peinture est pour moi absolue, sans relativité, comme l’amour. C’est un son, une orchestration de couleurs qui se fragmentent dans une totalité, un « unicum ». J’ai trouvé un vocabulaire plus intense sans trahir les choses auxquelles je crois. Je me suis remis en question.
Valentina : La chose qui distingue et détermine le travail de Sean sur le monochrome n’est pas seulement la couleur mais également la matière. Son choix du support. Le choix du MDF est important car c’est un matériau qui absorbe la couleur, pénètre profondément. Les nombreuses couches de peinture étalées par Sean créeent au final une superficie très élaborée. Il y a aussi le jeu des marges, du chanfrein et du biseau. Le couleur qui rentre et la matière qui émerge, ces deux choses caractérisent le travail de Sean. Le jeu d’ombre organisé par les bizeaux donne une spatialité au cadre et à la peinture. La matière reste visible mais la couleur qui entre et la couleur qui sort du cadre, du mur, donne une spatialité unique au travail de Sean. Il y a un dedans et un dehors grâce à l’ombre qui s’organise dans l’espace. Dans cette exposition, à la galerie Espace Muraille, il y a aussi l’ombre naturelle qui accentue le procédé artistique.
Vanna : On a l’impression que c’est une peinture frontale mais lorsqu’on s’approche du cadre l’oeuvre devient plus profonde grâce aux jeux d’ombres, une profondeur, un dedans et un dehors.
La nature, les paysages de la Toscane entre autres, vous influencent dans le choix et l’organisation des couleurs ?
Totalement, oui j’en suis inspiré. J’ai aussi un jardin. Je m’imprègne de tout ce que je vois, même de mes chiens (sourire).
Vous prenez possession des lieux où vous exposez. Les murs de l’Espace Muraille ont été peints pour cette exposition personnelle. Comment engagez-vous le dialogue avec les murs, avec l’espace ?
Les peintures sont autonomes et peuvent prendre place partout car le travail est indépendant en soi. Mais le palimpseste change complètement en fonction du lieu. Il y a un an, je suis venu en repérage à la galerie Espace Muraille et l’exposition est née naturellement de ma réflexion de l’endroit pour le choix des couleurs sur les murs et l’accrochage. Toutes les œuvres sont datées de cette année et inspirées pour Espace Muraille. Ce que l'on peut retenir de l'exposition, c'est qu'elle fonctionne, cela a été très agréable pour moi d’y réfléchir et de travailler de nouvelles pièces pour ce lieu.
Pratique :
Exposition : Sean Shanahan « Plainsong ».
Commissaire d’exposition : Dr. Valentina Locatelli
Du 6 septembre au 2 décembre 2023
Espace Muraille