Philippe Davet

Vanna Karamaounas
28 juin 2024

Philippe Davet, associé de Marc Blondeau, vous êtes conseiller et expert en art. Vous aidez les collectionneurs privés et publics à acquérir des œuvres d’art.

En quoi consiste exactement votre métier ? 

Comme un « chineur », je recherche l’œuvre rare et de qualité chez les marchands, galeries, dans les foires ou maisons de ventes. Nous recevons également des œuvres en consignation de collectionneurs dans le but de les placer dans une nouvelle destination.  

Comment faites-vous le lien entre le collectionneur et une institution en cas de prêt d’une œuvre, quel rôle avez-vous ?

Un musée peut contacter directement le propriétaire d’une œuvre, dans ce cas, nous pouvons l’accompagner dans toutes les démarches administratives et logistiques (contrat de prêt, assurance, transport, mention du nom du propriétaire, reproduction de l’œuvre) du prêt. Parfois, des institutions nous contactent afin de localiser une œuvre pour une exposition. Il nous arrive d’être à même la localiser et d’obtenir le prêt pour le musée.

Établissez-vous des certificats d’authenticité et des rapports d’état de conservation ? De quelle manière procédez-vous ?

Les certificats d’authenticité sont établis par des personnes et des comités qui ont l’autorité de les établir, ce qui n’est pas notre cas. Les rapports d’état de conservation sont établis par des restaurateurs professionnels.  Toutefois, nous pouvons accompagner les collectionneurs en vue de l’obtention d’un certificat d’authenticité ou d’un état de conservation. 

Offrez-vous aussi des conseils sur l’assurance et la sécurité des œuvres d’art ? 

Naturellement, dans le cadre de nos rapports avec nos clients nous proposons des conseils sur tous les sujets en lien avec une œuvre d’art, tel qu’assurance, transport, dépôt, restauration, authentification, droit, fiscalité, etc. Nous ne traitons pas ces domaines directement, toutefois, nous pouvons solliciter les meilleurs spécialistes. 

Quel est le premier critère pour acheter une œuvre ?

Le désir !

Faut-il avoir une stratégie d’investissement ?

Non, je dirais presque au contraire…. En matière d’art, la passion, le regard et la connaissance sont généralement plus efficaces que la raison et/ou les stratégies. 

Est-ce important pour un collectionneur que sa collection fasse partie de l’Histoire de l’Art ? 

Les collectionneurs ont toujours été rares. Ces 20 dernières années, le nombre d’acheteurs a explosé. La majorité de ces « consommateurs » d’art ne s’intéresse pas ou peu à l’histoire de l’art. L’achat d’œuvres d’art est trop souvent motivé par une volonté de décoration d’un intérieur ou de faire valoir social.

Doit-on aussi acheter des artistes sans expérience et prendre des risques ?

Cela peut faire partie de l’aventure, mais ce n’est pas obligatoire. 

Quels sont les artistes ou les mouvements émergents que vous recommandez actuellement ?

Avec Marc, nous travaillons sur l’histoire de l’art de 1820 (Ingres) à 2000 (Kippenberger). A notre avis, il est nécessaire d’avoir un recul de 25 ans sur le travail d’un artiste afin de juger de sa qualité et prodiguer des conseils. En termes de valeurs, les œuvres d’art produites jusqu’au Pop-art ont une valeur de marché et une valeur historique plus ou moins équivalente. La création depuis les conceptuels/minimalistes jusqu’aux années 2000 ont une valeur historique qui est largement supérieure à la valeur du marché. C’est l’inverse pour l’art émergent en vue dans le marché qui, à mon avis, a une valeur de marché trop élevée par rapport à une importance qui n’est pas encore « historique ».

Quelle est la place de l’Intelligence Artificielle dans le monde de l’art et la création d’œuvres d’art ? 

Quasi inexistante ! Il y a quelques années, le marché et les médias ont beaucoup parlé des NFT ; aujourd’hui c’est au tour de l’AI. Plusieurs artistes pensent à ces sujets depuis plus de 30 ans. Grâce à Marcel Duchamp, il n’y a plus de limite à l’art et c’est la merveilleuse révolution de l’art du 20e siècle !

Avez-vous recours à l’IA pour authentifier des œuvres ?

Afin d’authentifier une œuvre, il faut un regard, des livres, des archives. Aujourd’hui, ces informations ne sont pas accessibles par l’IA. Les informations des catalogues raisonnés et les archives des galeries et des musées sont encore majoritairement sur des supports papiers. Il est indéniable que le jour où ces informations seront disponibles à l’IA, cela aidera grandement les recherches.

Utilisez-vous l’IA pour connecter les collectionneurs et les amateurs d'art avec des œuvres qui correspondent à leurs intérêts ?

J’ai posé une seule question à l’IA et sa réponse était totalement erronée. Au début Wikipedia était également peu précis, toutefois ces nouvelles technologies ont une capacité d’apprendre vite et bien. Malheureusement, aujourd’hui le « savoir » prime sur la « connaissance ». 

Vous servez-vous de l’IA pour identifier les tendances du marché et prédire les variations de valeur future des œuvres ?

De manière générale, je m’intéresse peu aux tendances du marché. 

Quel est votre rôle à artgeneve ?

En 2011, j’ai accompagné Palexpo et l’ancien directeur dans la définition et la création d’un salon d’art à Genève. L’été dernier, j’ai été sollicité à nouveau par la direction de Palexpo. J’ai été choqué de découvrir les éléments qui ont abouti au licenciement pour justes motifs de l’ancien directeur.  Comme vous le savez, ces éléments sont aujourd’hui dans les mains de la justice. Le salon a failli disparaître du jour au lendemain. Heureusement, Madame Charlotte Diwan a accepté la mission de reprendre la direction dans ces circonstances compliquées. Nous sommes ravis du succès de l’édition 2024 grâce au travail de Charlotte et de son équipe formidable (Audrey Dijkhuizen, Laure Testard, Ségolène Nicolazic).

Nous avons mis en place un comité d’orientation composé de Madame Françoise Ninghetto, Madame Sandra Mudronja, Monsieur Stéphane Ribordy, Monsieur Claude Membrez et moi-même. Ce comité réfléchi à la définition des salons ainsi que des éventuelles nouvelles stratégies. Par exemple, actuellement, nous travaillons sur une nouvelle identité graphique. 

Depuis l’automne dernier, le marché de l’art est devenu plus difficile. Par exemple, les ventes des maisons de ventes aux enchères ont diminué de 20 à 30%. Charlotte Diwan et son équipe travaillent dur pour satisfaire les galeries et le public en organisant un évènement de qualité. 

Possédez-vous une collection ?

Oui. Il m’était impossible d’envisager de faire ce métier sans acheter pour moi-même. Dès le début, je me suis fixé une règle : ne jamais vendre une œuvre. Après plus de 20 ans, je m’y tiens toujours. Les seules œuvres qui m’ont quittées sont celles que j’ai offertes. 

Vos enfants ont-ils des aspirations artistiques ?

Je ne pense pas les avoir «  saoulés » avec l’art. En réalité je n’en sais rien, il faudrait leur poser la question ; peut-être et j’espère qu’il est arrivé qu’une œuvre d’art ou une exposition leur ait procuré du plaisir ou une émotion forte.  

Inspirez-vous des proches ou des connaissances à démarrer une collection d’art ?

Le démarrage d’une collection d’art doit être un désir du collectionneur. J’ai la chance d’accompagner quelques collectionneurs dans cette belle et riche aventure.

Quel est votre dernier coup de cœur ?

Michèle Graf et Selina Grüter chez Lovay Fine Art. A Genève, nous avons la chance d’avoir des galeries qui présentent des programmes de grandes qualités.

https://www.artageneve.com/lieu/galeries/blondeau-cie