Masques & Théâtre à la Fondation Martin Bodmer
La Fondation Martin Bodmer et l’Association Werner Strub présentent, pour la première fois, une exposition exclusivement consacrée au monde du théâtre. Les trésors de la Fondation dans le domaine du théâtre, de l’Antiquité grecque jusqu’au XXe siècle avec Bertolt Brecht, passant par Molière, Gozzi ou Shakespeare, seront exposés ici pour les faire dialoguer avec une sélection de masques crées par Werner Strub (1935–2012).
Racontez la genèse du projet, cette collaboration entre la FMBodmer et l’Association Werner Sturb ?
L’homme de théâtre genevois Guillaume Chenevière était déjà pour moi de longue date un complice rousseauiste (tricentenaire J.-J. Rousseau de 2012). C’est lui qui est venu me trouver à la FMBodmer, il y a 5 ans. Ayant étroitement travaillé avec Werner Strub à plusieurs occasions dans les années ‘70, il m’a proposé, en qualité d’admirateur de Werner Strub, une exposition de masques Werner Strub à la Fondation Martin Bodmer. Ensemble et avec le comédien et homme de théâtre Alain Tretout (détenteur des masques), puis avec François Passard, premier président de l’Association Werner Strub, nous avons pris du temps à préciser le projet d’une collaboration entre la FMBodmer et l’Association Werner Strub et nous avons décidé de confier le commissariat scientifique à Anne-Catherine Sutermeister. Il y eut donc une gestation de cinq ans.
De quelle façon les œuvres de théâtre & les masques de W. Sturb se font-ils écho dans l’exposition ?
Nous sommes tombés d’accord, pour la 1ère exposition temporaire jamais consacrée par la Fondation Martin Bodmer au genre du théâtre, sur certaines règles de jeu. Nous embrassons le corpus du théâtre de l’Antiquité au 20e siècle. Il s’agit de chefs-d’œuvre essentiels et incontestables, les Grecs, Shakespeare, Molière, Gozzi, Büchner, Brecht etc. Le dialogue est instauré entre la vitrine (les documents écrits patrimoniaux y sont présentés) et les masques spectaculaires, admirés immédiatement hors-vitrine. Il s’agit d’une part de masques 100% créés par W. Strub (32 ont été sélectionnés). Ils se rapportent à des pièces de théâtre internationalement connues pour lesquelles W. Strub a confectionné des masques (pour la plupart, ils ont été portés sur scène). Il s’agit d’autre part de 32 documents écrits de caractère tout à fait exceptionnel, ces mêmes pièces de théâtre présents dans la collection de Martin Bodmer : soit des manuscrits autographes, soit des éditions originales, des curiosités de bibliophilie, etc. L’exposition est à proprement parler la rencontre de deux trésors.
Quelle est la première trace écrite d’une œuvre de théâtre ?
Notre point de départ est Athènes au 5e s. av. J.C., avec les prestigieux concours de tragédies et de comédies qui ont eu lieu dans le théâtre des Dionysies. Ces textes sont parvenus jusqu’à nous sous forme de papyrus (les papyrus uniques et inestimables des pièces de Ménandre sont conservés à la Fondation Martin Bodmer). Dans l’exposition, les pères fondateurs de la tragédie, Sophocle, avec ses pièces de grande force et de valeur immémoriale Œdipe tyran (collaboration Benno Besson et W. Strub en Italie) et Antigone (collaboration Philippe Mentha et W. Strub à Genève), et Euripide (Alceste), sont fondamentaux. Mais aussi le comique Aristophane (La Paix, spectacle mis en scène à Genève par Guillaume Chenevière). Pour chacun de ces textes, la FMBodmer offre des éditions d’imprimés extraordinaires, telles les éditions originales vénitiennes (Œuvres complètes en grec, de Sophocle et d’Euripide, Alde Manuce, 1502 et 1503), exemples extraordinaires d’artisanat typographique. De grandes éditions de traductions marquantes sont également présentées.
Les œuvres de théâtre présentées font-elles toujours partie de la collection personnelle de la FMBodmer ?
Oui, la curiosité littéraire de Martin Bodmer et son goût très sûr lui ont permis de s’intéresser aux mêmes œuvres que Werner Strub. Aucun document écrit n’est extérieur à la collection. Dans l’exposition Masques & Théâtre, l’ensemble des 32 documents patrimoniaux présentés et exposés, de qualité exceptionnelle, ont tous été rassemblés par Martin Bodmer et sont conservés à la FMBodmer. Il est piquant de remarquer quel fut le tout premier livre jamais acheté par le futur bibliophile Martin Bodmer à l’âge de 15 ans en 1915 : nous l’exposons ! Il s’agit de Der Sturm, un livre d’art magnifique publié en 1912, une traduction allemande de The Tempest de Shakespeare, merveilleusement illustré par Dulac. Martin Bodmer s’est souvent exprimé sur le caractère prémonitoire de cet achat, du fait de la présence étonnante de la bibliothèque sur l’île déserte enchantée (« Prospero’s book ») dans The Tempest. Trois masques très étonnants de Strub d’« esprits » de l’île, rappellent dans l’exposition la dimension magique et surnaturelle instaurée par Shakespeare.
De quoi les œuvres de théâtre de l’exposition témoignent-elles ?
Chaque pièce présentée (tel Antigone, Œdipe tyran, etc.) a d’abord été témoin et expression de préoccupations majeures, idéologiques, sociétales, politiques de son temps. Ayant en quelque sorte cristallisé, formulé et exprimé les inquiétudes des contemporains, ces pièces qui ont toutes été jouées nous restent comme autant de témoins extrêmement importants de l’époque de leur création. Si elles ont traversé le temps, c’est toutefois parce que ces problématiques revêtent aussi une dimension atemporelle. Lorsque André Bonnard et Hans Erni collaborent pour mettre Sophocle au service du militantisme communiste et pacifiste au milieu du 20e siècle, ou lorsque Werner Strub s’enthousiasme pour des spectacles de Sophocle montés dans la seconde moitié du 20e siècle, leur œuvre respective témoigne, chacune à sa façon, d’une adaptation de la matière remise au goût du jour, d’une réappropriation de la problématique, d’une proposition neuve et moderne aux vibrantes attentes de leurs contemporains. Il est émouvant de constater que les œuvres d’art ne meurent pas. Elles ne sont condamnées ni à la poussière ni à la naphtaline : chaque spectacle, chaque mise en scène constitue un événement d’actualité directe, chaque création éditoriale ressuscite à nouveaux frais des sujets touchant profondément l’humain. De même l’exposition ‘Masques & Théâtre’ de 2021 représente elle-même un événement créatif d’absolue modernité
https://www.artageneve.com/lieu/musees-fondations/fondation-martin-bodmer
Pratique :
Masques et Théâtre - Jusqu'au 8 août 2021
Du mardi au dimanche, de 14h à 18h - Fondation Martin Bodmer - Route Martin-Bodmer 19 - 1223 Cologny (Genève)