Espace Muraille – 10 ans
Espace Muraille : un immeuble classé à la Vieille-Ville, une grande porte bleue, une décennie d'activités intenses, une collectionneuse passionnée. Rencontre avec Caroline Freymond, propriétaire de l'Espace Muraille.
Quand et comment s’est constituée votre magnifique collection ?
La collection, si on peut qualifier ainsi une passion et un intérêt pour l’art en général que j’ai développés avec mon mari depuis que nous nous connaissons, soit depuis plus de 30 ans, est le fruit de coups de cœur et de rencontres. Nos goûts ont évolué avec le temps en partant d’œuvres classiques pour aller vers le contemporain en passant par le moderne. Cette évolution ne nous a pas pour autant fait tourner le dos et renoncer à des goûts plus classiques, voire anciens. Nous aimons au contraire établir des passerelles, une conversation, développer des affinités et des rapprochements entre différents types d’objets et époques.
Quelle a été la première œuvre acquise, quand ?
Une des premières œuvres acquises, il y a 20 ans, a été un Fabienne Verdier dans des circonstances assez cocasses. J’avais lu son bestseller, « Passagère du Silence » et rencontré l’artiste qui exposait à l’époque à la galerie Ariane Dandois à Paris. L’échange avait été particulièrement intense, sensible et passionnant. Toute l’exposition était vendue et il y avait même un carnet d’amateurs en liste d’attente. Fabienne m’a cependant redonné espoir en m’informant qu’elle allait prochainement exposer en Suisse à la galerie Alice Pauli à Lausanne. J’avais soigneusement noté la date dans mon agenda, mais malheureusement, peu avant ce rendez-vous, dont je me faisais une joie, je me suis cassé le fémur et devais me faire opérer. J’ai obtenu de différer l’opération pour me rendre tout de même au vernissage de Fabienne Verdier à la galerie Alice Pauli, où je suis arrivée en chaise roulante par le monte-charge, la galerie au Flon n’ayant pas d’ascenseur : autant dire que cette aventure a scellé des liens d’amitié entre nous que nous avons cultivé au fil des ans.
Comment s’opèrent vos choix ?
Nos choix d’acquisitions répondent plutôt aux coups de cœur et nous avons la chance, mon mari et moi, d’être souvent complices et attirés par les mêmes choses. Nous aimons aussi suivre le travail des artistes que nous collectionnons.
Est-ce que vous avez pu regretter des achats et les revendre ?
Nous n’avons dans l’ensemble pas vraiment regretté des achats. Il nous arrive de revendre, mais cela ne nous laisse pas indifférents. On s’attache aux objets et à l’histoire, les circonstances, qui nous ont amenés à en faire l’acquisition. Cela dit, il est bien aussi d’évoluer dans nos goûts et d’accepter que les œuvres circulent et rendent d’autres personnes heureuses de les posséder à leur tour.
Chez vous, les œuvres se déploient du sol au plafond, chaque coin d’accrochage est exploité, jusque sur les portes, quand la passion de l’art est dévorante, la collectionneuse peut-elle s’arrêter ?
Nous ne sommes pas des adeptes du white cube et aimons rapprocher des œuvres et des objets d’artistes et d'époques différentes. Il faut savoir s’arrêter (l’expérience et le temps nous l’apprennent), ne pas surcharger, tout en laissant s’exprimer le vivant et nos tempéraments. Notre intérieur n’est pas un musée, mais un lieu de vie et de rencontres, qui peut s’accommoder de quelques excès et rapprochements insolites qui témoignent de ce que nous sommes et de l’esprit du moment dans notre relation avec les objets et les œuvres qui nous entourent.
Collectionneuse mais aussi artiste pour l’exposition collective « Conscience es-tu là », vous avez participé en créant une œuvre spécialement pour cette occasion. Parlez-nous de votre œuvre et quelle a été votre inspiration ?
Pour « Conscience, es-tu là ? », j’ai effectivement apporté ma contribution artistique à ce thème, choisi dans ce que nous avons appelé, avec deux autres partenaires, « Les Rencontres Spectaculaires », soit un concept comprenant la publication d’un ouvrage collectif traitant du sujet, auquel j’ai participé, une exposition et un événement réunissant des contributions de nature à développer et à réfléchir à la question posée. Dans le texte que j’ai rédigé pour le livre, je me suis intéressée notamment à la place de la conscience dans le développement de l’intelligence artificielle. Cela m’a amenée à consulter ChatGpt à qui j’ai posé la question suivante : quel est l’anagramme de l’intelligence artificielle ? La réponse instantanée a été : « L’électricité intellectuelle ». J’ai trouvé la formule plutôt amusante, associant énergie et esprit. Cela m’a donné l’idée pour l’exposition de réaliser un ouvrage au point de croix, technique que je maîtrise bien pour l’avoir longuement pratiquée, représentant un robot entouré de formules et de citations. C’était une manière d’illustrer mon texte, tout en montrant qu'à la différence de l’intelligence artificielle, qui apporte des réponses mécaniques et fulgurantes, le point de croix demande de la patience, de la concentration et de la persévérance. On se hâte lentement en laissant parler sa fantaisie, on n’échappe pas à l’erreur (somme toute bien humaine) qui en découd au fil de l’aiguille.
Espace Muraille, c’est le lieu des expositions que vous avez ouvert à Genève, au cœur de la Vieille-Ville. Qu’elle est l’origine du lieu ? L’origine du projet ?
Espace Muraille est un projet qui remonte à une dizaine d’années. C’est un lieu que nous avons créé dans les caves d’une maison de famille à Genève qui présente la particularité de s’inscrire dans les anciennes fondations de la Vieille-Ville. Nous avons éprouvé le besoin et la nécessité d’assainir les bases de la maison, ce qui nous a amenés à réfléchir et à imaginer une nouvelle destination à ces caves humides et insalubres pour en faire un lieu où les vieilles pierres de l’édifice puissent dialoguer désormais avec l’art contemporain et abriter de façon dynamique des expositions et événements propices aux échanges artistiques de toute sorte.
Vous fêtez aujourd’hui 10 ans à Espace Muraille, comment évaluez-vous cette décennie ?
Ces 10 années ont passé vite et nous ont donné l’occasion d’accueillir de nombreux artistes, pour la plupart importants sur la scène de l’art contemporain, qui ont fait l’effort de concevoir des projets en dialogue et dans le respect de la spécificité des lieux.
Comment voyez-vous les dix prochaines années d’Espace Muraille ?
Pour les 10 prochaines années, nous sommes heureux de pouvoir compter sur la nouvelle génération. En effet, notre fille Ludivine a décidé de travailler avec nous et nous aide à repenser le concept, à le rajeunir, à l’ouvrir à des expressions artistiques plus juvéniles et à l’actualiser.
Quel est ce nouveau rêve qui se réalise en Italie, plus précisément en Toscane ?
Quant à la Toscane, le Palazzo Al Bosco est avant tout une maison de famille située à proximité de Florence, c’est un projet de rénovation nous donnant l’occasion de faire intervenir des artistes que nous apprécions, tout en ayant prévu de consacrer un bâtiment, l’ancien pressoir (« La Tinaia ») à des expositions non commerciales et de longue durée dans une volonté de développer des moments de partage et de rencontres artistiques diverses (art plastique, musique, cinéma, danse, etc.).
Nous exposons actuellement Etel Adnan après avoir inauguré l’espace avec Olafur Eliasson, puis Pablo Reinoso.