Pace : Paulina Olowska & Deborah Turbeville
La galerie Pace accueille actuellement l’exposition Widows of the Wind. Les peintures de Paulina Olowska – qui signe également la curation de l’exposition – y dialoguent avec les photographies de Deborah Turbeville.
Une vaste surface noire, aux bords coupés nets, émet des craquements menaçants lorsque l’on marche dessus. On a beau être à l’intérieur et laisser le froid de janvier dehors, ce son ne manque pas de rappeler les fissures se formant sur la glace d’un lac gelé et suscite une vague inquiétude. Cette installation de bois sombre, directement importé de Pologne, évoque autant un radeau – débris d’un naufrage – que le prolongement du lac ou qu’une scène de théâtre. Le ton est donné : le premier solo show de l’artiste polonaise Paulina Olowska (1976) à Genève fait la part belle aux atmosphères.
C’est l’artiste elle-même qui a conçu la curation de l’exposition. Elle y présente ses toiles, en dialogue avec des photographies de mode de l’Américaine Deborah Turbeville (1932-2013). En dépit de leurs différences d’échelles ou de médium, il est aisé de percevoir les liens entre les deux artistes. Sujets féminins à la présence un peu absente, ambiances mystérieuses et sensations diffuses de solitude tissent un fil rouge entre les immenses peintures – on atteint les 200x290cm pour la plus grande toile – et les modestes tirages argentiques.
Pour Widows of the Wind, Paulina Olowska a poursuivi la réflexion initiée en 2023 avec son exposition Resonance dans la galerie mexicaine Kurimanzutto, en collaboration avec la Collection MUUS. Elle y avait exploré les échos entre son propre travail et celui de Deborah Turbeville. Si, dans cette première exposition, elle avait « communié avec l'œuvre de Turbeville comme des réverbérations fluides et vacillantes », la conversation artistique dévoilée dans Widows of the Wind se présente comme la prolongation de ses réflexions. L’artiste polonaise semble toujours imprégnée du travail de la photographe, mais ses peintures paraissent s’en être émancipées. On sent davantage la singularité de Paulina Olwoska dans l’exposition genevoise : les atmosphères éthérées typique de Deborah Turbeville, que l’on retrouvait dans les tableaux présentés dans l’exposition mexicaine, ont cédé la place à des ambiances picturales beaucoup plus denses.
Ce n’est pas la première fois que Paulina Olowska lie son travail à celui d’une autre artiste. Grâce à ces collaborations posthumes, la Polonaise donne de la texture et de la dimension aux histoires plus larges qu'elles partagent. Sa sélection des œuvres de Deborah Turbeville en témoigne : quatre des photographies prêtées par la Collection MUUS, issues de la série Stables of Strelna représentent des femmes drapées sur les ruines croulantes d'un domaine palatial de Saint-Pétersbourg. Dans les deux autres photos, prises lors de shootings éditoriaux, les visages des mannequins sont partiellement masqués, leurs regards détournés de l'appareil photo, fixés sur quelque chose d'invisible. Habillées de vêtements garnis de fourrure et enveloppées dans la brume sépia des images, ces femmes semblent à la fois hors du temps et de l'espace.
Elles prennent une autre dimension associées aux peintures de Paulina Olowska. Ses tableaux représentant des femmes solitaires dans des paysages gelés et désolés créent un drame fragmenté. Leur isolement les unes des autres, même lorsqu’elles partagent un même espace, évoquent des collages picturaux autant que des photographies de mode. On est pourtant là très loin des femmes-objets soumises au male gaze. Ces femmes ne cherchent pas à plaire, ni même à susciter une connexion avec les personnes les regardant. Les modèles ne communiquent pas, ni entre elles ni avec le spectateur, au point qu’elles semblent enfermées dans leur solitude. La mélancolie, l’atmosphère singulière et évocatrice qui se dégage de ces toiles, créent une impression troublante pour les spectateurs.
Dans Paysage d’Hiver, la dernière peinture réalisée pour Widows of the Wind, Paulina Olowska a choisi de représenter un paysage hivernal entièrement dépeuplé. Seuls quelques groupes d'arbres dénudés encadrent une rivière gelée et une étendue de neige. Malgré l'isolement de la scène, la proximité de ces éléments avec le spectateur suggère une tension claustrophobique. Ce décor, qui représente le paysage autour de l'atelier de l'artiste à Rabka, en Pologne, marque une évolution technique et conceptuelle dans sa carrière de près de vingt-cinq ans. Paulina Olowska a entrepris d’y explorer le défi de peindre la neige et le vide, distillant le paysage jusqu'à des textures minimales tout en poursuivant sa recherche autour de la solitude. Dans Paysage d'Hiver, l'absence de figures déplace l'attention entièrement vers le paysage, transformant la scène hivernale vide en une méditation sur l'isolement, la mémoire et le poids émotionnel du monde naturel.
Elle invite à un voyage vers l’intériorité.
https://www.artageneve.com/lieu/galeries/pace
Pratique : exposition du 21 novembre 2024 au 7 février 2025
crédit photo : ©Annik Wetter