Giacometti Fondation Beyeler ©Vanna Karamaounas

Art majeur, art mineur ?

par Didier Rostoucher
29 janvier 2022

"Soyons facétieux et tentons une nouvelle définition : un mauvais peintre est et restera toujours mineur alors qu’un génial photographe pourra devenir un représentant majeur d’une tendance ou d’une époque (ex. : Man Ray)."

Lors d’une émission TV, Gainsbourg, qui croulait sous les louanges de l’animateur, lui répondit bougon ou dépité que ses chansons étaient un art mineur. Ce qui mit Guy Béart, également présent sur le plateau, dans tous ses états, prétendant que la chanson  est aussi un art majeur puisqu’elle peut survivre à son auteur !

Le débat est très ancien puisqu’on n’a pas cessé d’essayer de définir le mineur vs le majeur.

Avant le Renaissance, on distinguait les arts du savoir (majeurs) des arts des matériaux (mineurs), autrement dit entre les activités intellectuelles et celles de la fabrication (arts appliqués). Ou entre le concept et le savoir-faire…

Et cette différenciation a conduit notre perception jusqu’au milieu du 20ème siècle. Les arts majeurs étaient donc par excellence la peinture, la sculpture et les arts mineurs le design, la mode, la décoration, etc…

D’ailleurs, pendant la révolution industrielle, l’Académie a distingué les Beaux-Arts (avec des majuscules) des arts décoratifs (en minuscules).

La frontière s’est un peu floutée avec l’apparition de nouveaux matériaux dans les arts majeurs et le système des reproductions d’une œuvre (ex. : lithographie), puisque par définition, l’œuvre d’un art majeur est unique ! Pourtant, une lithographie numérotée s’en réfère plus à une oeuvre d’art initiale qu’à un savoir faire de fabrication.

Le 20ème siècle a connu très tôt des tentatives de fusion entre art majeur et art mineur : le constructivisme russe (1917), le Bauhaus de Weimar (1919), jusqu’au groupe Memphis en 1980 avec Ettore Sotsass, avec pour point commun une recherche conceptuelle et esthétique appliquée à des produits de consommation courante.

Aujourd’hui, tout est art, de la peinture à la bande dessinée, en passant par la photographie ou la mode. On vit dans le chaos, au sens où le chaos est l’expression de ce qui est indifférencié, sans hiérarchie (du grec hieros signifiant sacré et archie signifiant commandement).

Le fait de préciser l’origine étymologique du mot hiérarchie n’est pas anodine : les arts majeurs ont longtemps traité de sujets religieux, donc sacrés et l’Eglise aurait mal vu qu’une vierge de Botticelli soit appelée art mineur !

C’est donc à chacun de préciser sa propre définition de ce qui est mineur ou majeur en art.

Soyons facétieux et tentons une nouvelle définition : un mauvais peintre est et restera toujours mineur alors qu’un génial photographe pourra devenir un représentant majeur d’une tendance ou d’une époque (ex. : Man Ray).

Laissons à ceux que cela amuse rejouer éternellement la querelle des Anciens et des Modernes…

Pour revenir à mon introduction sur Gainsbourg, donnons une précision supplémentaire : pendant des décennies, Gainsbourg s’est essayé à la peinture, paraît-il, avec un certain talent.

Mais comme certains artistes majeurs, il ne fut jamais satisfait de ses oeuvres au point de les avoir quasiment toutes détruites de son vivant. Et même quand on lui parlait de ses chansons, il répondait avec une désarmante sincérité qu’il n’en sauverait que 2 ou 3 du lot !

Cela me fait immédiatement penser à Giacometti qui avouait juste avant de mourir qu’il avait réalisé sans relâche la même structure de son homme qui marche, parce qu’il n’en avait pas fait le tour et n’était pas arrivé à ce qu’il voulait.

Peut-être touchons nous là à l’expression de l’art majeur : le doute créatif, l’exigence créative, la recherche de la perfection créative d’une idée, l’humilité.

Cette définition n’a certes rien d’académique mais elle a l’heur de me plaire. A vous d’écrire la vôtre, avec les yeux d’un poète, dont la racine grecque signifie… créateur.

Comme par hasard !

 

 

 

 

du même auteur : 

David Hockney : https://www.artageneve.com/article/david-hockney

Une histoire de meurtre : https://www.artageneve.com/article/une-histoire-de-meurtre

Billet d'humeur sur la peinture contemporaine : https://www.artageneve.com/article/billet-dhumeur-sur-la-peinture-contem...

Merci Picasso ! https://www.artageneve.com/article/merci-picasso

Art majeur, art mineur : https://www.artageneve.com/article/art-majeur-art-mineur

Giacometti, L'Homme qui marche : https://www.artageneve.com/article/alberto-giacometti-lhomme-qui-marche

Réflexion sur l'Art : https://www.artageneve.com/article/reflexion-sur-lart

 

Didier Rostoucher, né à Paris un 14 novembre, passionné de philosophie.