Antonio Saura | Galerie Sonia Zannettacci

Crucifixions, suaires et portraits aux regards tourmentés, l’essence de l’âme espagnole semble avoir été convoquée chez Sonia Zannettacci. Sa galerie de la vieille-ville présente une quarantaine d’œuvres d’Antonio Saura (1930-1998), offrant un bon échantillonnage de la riche production de l’artiste.

Dans l’une de ses dernières interviews, Antonia Saura a qualifié la peinture hispanique en ces termes : « L'art espagnol est tout de discontinuité et d'exceptions, il est saccadé et entrecoupé, à l'image de l'Espagne, pays très marginal, fanatique, isolé en Europe et très métissé. À l'image de l'histoire espagnole aussi, affreusement violente ». L’artiste en savait quelque chose. Ayant connu la guerre civile puis le franquisme, les horreurs auxquelles il a assisté ont marqué durablement son imaginaire.

Autodidacte, il commence à peindre et à écrire à 17 ans, durant sa convalescence de la tuberculose. La maladie semble avoir imprégné son travail au point que, dans ses œuvres, le rapport au corps est toujours marqué par la douleur. En cela, il s’inscrit dans la grande histoire de l’art de son pays. Les œuvres de Saura sont en effet chargées de références aux plus grands maîtres de la péninsule ibérique, de Velasquez et Goya à Picasso et Miró.

La galerie Zannettacci présente plusieurs pièces emblématiques du travail de Saura. Ses Dames, peintes à la gouache ou à l’encre de Chine, prennent la forme de figures solitaires et torturées. Des Pero de Goya au regard de bon chien – étonnamment triste – s’efforcent de dissimuler leurs faces monstrueuses dans la bordure des tableaux. Suaires et Crucifixions se succèdent sur les murs, tandis que quelques œuvres de la série des Diarios offrent un aperçu de l’actualité de 1994 vue par le peintre. C’est avec le credo « Pas un jour sans un dessin » qu’il a, pendant plusieurs mois, réalisé une œuvre quotidienne sur la base du contenu des journaux. Sous son pinceau, les silhouettes de femmes en burqa voisinent avec le portrait d’un curé et les carcasses de voitures d’un carambolage sanglant.

Au-delà de leur noirceur, les peintures et les dessins de Saura ne sont pas dénuées d’humour. Des collages de cartes-postales, retouchées manuellement par l’artiste, sont de petites fantaisies qui rappellent l’intérêt de l’artiste pour le surréalisme. Deux estampes en couleur de grand format contrastent avec la gamme chromatique habituellement réduite du peintre.

La palette de l’artiste est en effet généralement très restreinte : des teintes neutres, des gris, des bruns, des beiges, et surtout du noir et blanc. Cette épure chromatique confère une grande force à ces compositions. Le trait de Saura est décidé, instinctif dans ses grandes peintures. Lorsqu’il change d’échelle, lâche le pinceau pour le porte-plume, sa graphie nerveuse conserve la même intensité.

Ce n’est pas seulement son dessin dynamique qui confère cette intensité aux œuvres de Saura. Ses compositions, soigneusement construites en dépit de la rapidité apparente de leur exécution, dégagent une grande puissance. Leur présence est presque palpable et elles semblent tendre un miroir à ceux qui les contemplent. 

Le regard et sa dimension quasi-performative est d’ailleurs un thème central du travail du peintre, même lorsque les objets représentés sont inanimés. Ainsi, six Autodafés au format livresque dévisagent le spectateur de leurs yeux aveugles. Peints sur des cartons de reliures, ils évoquent des tests de Rorschach autant que des visages ravagés. Saura va au-delà de l’enveloppe de ses sujets, c’est leur âme, leur conscience qu’il s’efforce de retranscrire sur ses toiles.

Du 19 septembre au 9 novembre 2024

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