Alina Frieske, Façade
Entre Genève et Lausanne, la galerie Fabienne Levy présente Façade, une exposition solo de la jeune artiste allemande Alina Frieske. Cette dernière utilise les techniques numériques pour travailler à partir de fragments tirés de posts sur les réseaux sociaux, créant ainsi un portrait collectif et complexe.
Des images troublantes, que l’on doit contempler avec attention pour les déchiffrer... Le travail d’Alina Frieske impose de ralentir quelques instants pour être apprécié. Ses compositions à la fois limpides et complexes captent l’œil pour ne plus le lâcher, les nuances apparaissant peu à peu au regard. Plus que des photomontages, ses créations s’apparentent davantage à du collage numérique. La technique de Frieske est particulière. Partant d’une esquisse sur papier afin d’élaborer la composition, l’artiste passe ensuite sur son ordinateur afin de créer ses images, qu’elle assemble à la façon d’un patchwork digital. Piochant dans un vaste corpus de photographies postées sur les réseaux sociaux ou ressortant dans des moteurs de recherche, l’artiste va utiliser ces dernières comme une matière première à part entière. Elle fragmente chaque photographie en une multitude de petits morceaux qu’elle organise ensuite par répertoires chromatiques, à la façon d’une mosaïste triant les tesselles par couleur avant de composer ses motifs.
Paradoxalement, son travail – qui se fait essentiellement avec des outils informatiques – possède une dimension très picturale. La profondeur de ses images vient sans doute du processus de composition par strates. Ces dernières sont essentiellement sur un support numérique, mais parfois, l’artiste passe également par la matière concrète en imprimant, découpant, pliant et triturant des images jusqu’à obtenir l’effet voulu, avant de les scanner à nouveau pour les intégrer à ses compositions chargées de cette texture nouvelle. Ce procédé de superpositions confère aux œuvres de Frieske une densité particulière.
L’artiste semble avoir une prédilection pour les couleurs froides, comme en témoigne sa « palette » à la fois urbaine et terrienne, où les bleus, gris, bordeaux, bistres et terres de Sienne dominent. Les jeux de transparences, et le miroitement des images créent un assemblage rappelant la lumière des vitraux. Ni tout à fait portraits, ni tout à fait natures mortes, ses œuvres peinent à être caractérisées par les catégories traditionnelles. Des mains agrippant des sacs ou des doigts appuyant sur des déclencheurs d'appareils photo sont réduits à leur essence jusqu’à sembler se confondre, brouillant les limites séparant les corps de ces objets. Métaphoriques extensions de nous-mêmes, ces dernières deviennent plus littérales dans le travail de Frieske. Ce goût pour les détails de notre équipement quotidien va de pair avec l’anonymisation des sujets. En choisissant de se focaliser sur des objets intimes tout en floutant les visages, l’artiste développe une réflexion désabusée sur l’intrusion du regard global dans la sphère privée.
À travers ses œuvres, Alina Frieske questionne l'obsession contemporaine de la visibilité sur les réseaux. Ainsi, sa série « Stand-In » met en scène des corps se fondant dans les foules, imitant les mouvements les uns des autres et luttant pour l’espace. Ils paraissent suffoquer ou chercher à s'échapper des confins des compositions. Cette tension constante met en lumière la dualité paradoxale de l’auto représentation : le désir d'être vu à tout prix et l'envie de disparaître dans l'anonymat. Dans cette série, l’effacement des visages est celui de l’individu, dont l’identité se fond dans la masse anonyme du collectif. Les spectateurs peuvent également s’y projeter à leur gré, brouillant encore un peu plus la frontière entre regardeur et regardé.
Les recherches de Frieske ont récemment pris la forme des œuvres de la série « Outline », où des images apparaissent partiellement derrière la découpe de plaques d'aluminium réfléchissantes. L’artiste développe le concept de masquage tout en s’éloignant peu à peu du figuratif pour poursuivre son exploration visuelle. Interrogeant comment notre comportement et notre perception de soi sont façonnés par l'afflux constant d'informations en ligne et la quête de visibilité dans un monde saturé de médias, les œuvres d’Alina Frieske semblent choisir d’y répondre en nous renvoyant à nous-mêmes.
Du 11 septembre au 17 novembre 2024 à la Galerie Fabienne Levy
https://www.artageneve.com/lieu/galeries/galerie-fabienne-levy