Pascale Monnin ©AAG

Pascale Monnin

Lia Bagutti
4 décembre 2022

Retour aux origines pour l’artiste suisse-haïtienne || Pascale Monnin || qui présente l’exposition Histoire d’O :: Naissance et Renaissance à la Galerie Espace TCarmine, galerie d’art récemment ouverte dans le Quartier des Bains. Une occasion pour revenir sur son parcours artistique au carrefour de deux cultures et de parler de ses derniers travaux.

Artiste pluridisciplinaire, Pascale Monnin expose régulièrement dans les Caraïbes, aux États-Unis et en France. Il s’agit de sa première exposition individuelle à Genève, où elle a passé ses années de formation.

Une occasion pour revenir sur son parcours artistique au carrefour de deux cultures et de parler de ses derniers travaux.

 

Lia Bagutti : Dans cette exposition, la thématique des origines est centrale. Parlons donc de vos origines.

Pascale Monnin : Je suis née à Port-au-Prince de parents suisses. En Haïti, ma famille tenait une galerie d’art ouverte par mon grand-père jurassien, Roger Monnin. La Galerie Monnin a été fondée en 1956 et existe encore. Avec ma sœur Gaël, nous sommes la troisième génération de Monnin travaillant dans le monde de l’art. À 3 ans, je rentre en Suisse avec ma mère, d’abord à Yverdon, puis à Genève où je fais mes études artistiques au Collège Voltaire. Ce furent de belles années parce qu’il y avait des ateliers de gravure, de sculpture et de peinture dans cette école près de la Gare. À vingt ans, je repars m’installer en Haïti tout en revenant régulièrement en Suisse.

Est-ce que vous vous souvenez d’un épisode lié à la manifestation de votre vocation artistique ?

Pour moi ça a toujours été une évidence. Les artistes, La Galerie font partie de mon enfance… Très tôt, je veux apprendre le dessin, la restauration, la peinture. J’ai toujours travaillé avec les artistes directement, bien avant de former mon discours. En Haïti, la peinture est loin du monde de l’art contemporain à l’européenne. Le discours n’est pas au centre de la démarche. Au chemin traditionnel des écoles supérieures, j’ai favorisé l’apprentissage par la rencontre.

Tout au long de votre carrière vous avez exploré différents champs artistiques : installations, sculptures peinture et dessins. Pouvez-vous nous en parler ?

J’aime changer d’univers techniques. J’aime mélanger les matières. Avec mon encrage haïtien, l’idée de redonner vie à des objets cassés et abandonnés me réjouit. Les objets trouvés portent en eux une histoire, d’ici et d’ailleurs, que j’aime m’approprier et détourner pour nourrir un propos. L’idée de mort et de renaissance est comme un mantra.

Pascale Monnin© Ma chair et mes colibris

Ma chair et mes colibris ©Pascale Monnin. Ce mobile marque ma fascination pour les colibris. Si petit et fragile et pourtant doté d'une mécanique extrêmement puissante : ils peuvent battre des ailes jusqu'à 200 fois par seconde. Fragiles et forts comme mes enfants dont les visages ornent cet ange de 2m50 d'envergure.

On revient donc aux origines et à votre exposition à Genève qui présente une cinquantaine d’œuvres réalisées entre 2020 et 2022.

La Galerie Espace T-Carmine, ouverte par Monsieur Philippe de Boccard, est un nouveau projet auquel je suis heureuse de participer. L’organisatrice et commissaire de cette exposition est Silvana Moï Virchaux avec qui j’ai fait plusieurs projets : nous avons commencé par Enfance et autres Bazarsen 2016, une grande exposition personnelle en Haïti, ensuite nous nous sommes retrouvées pour la Biennale de Dakar en 2018. L’été dernier, j’ai participé à la première édition de la Biennale Ouidah 2022 organisée au Bénin par Laboratorio Art Contemporain dont elle est la présidente fondatrice et qui tisse des liens entre la Suisse, les Caraïbes et l’Afrique.

Matthew Biennale de Dakar - Copyright David Damoison

 Matthew © David Damoison. Cette installation est faite des portes et fenêtres d’une maison détruite par l’Ouragan Matthew et elle fut présentée à la Biennale de Dakar en 2018. 

La série « Histoire d’O : Naissance et Renaissance » a été lancée à l’occasion de votre résidence artistique à Trinidad et Tobago, au printemps 2022. Son nom évoque le roman homonyme qui avait fait scandale dans les années ’50.

Dans le visuel de cette exposition, le « O » est en forme d’œuf. Cette forme évoque aussi le chiffre 0, lui qui vient avant tous les autres, les origines. Le mystère de la vie est au cœur de la sexualité, d’où le clin d’œil à ce titre de roman aux relents sulfureux. La notion d’identité, d’origine est complexe. Est-ce qu’on est originaire de là ou viennent nos parents, nos grands-parents ? Naissons-nous de nos expériences ? J’ai toujours été très heureuse d’être née en Haïti, de parents suisses et d’avoir fait le va-et-vient. Haïti m’a appris à aimer la Suisse et la Suisse m’a appris à aimer Haïti.

Pascale Monnin© Histoire d'O Idelmonde et Romy

 Histoire d’O - Idelmonde et Romy ©Pascale Monnin - 140x140cm, technique mixte, 2022.

Dans la série « Les augures », également présentée à Genève, vous traitez le sujet des oiseaux migrateurs. Cela peut évoquer votre histoire personnelle mais ce thème résonne aussi avec l’actualité mondiale.

J’ai commencé à m’intéresser au phénomène des « murmurations », ces nuages mouvants de milliers d’étourneaux, lors d’un séjour à la Villa Médicis en 2012. On dit que certains prêtres romains, appelés « les augures », lisaient l’avenir dans leurs vols. Ce phénomène rend manifeste l’existence d’une intelligence collective et ces murmurations me laissent admirative face à la beauté de la nature. La nature est le plus grand des artistes… Les frontières politiques contribuent à une vision d’une humanité sédentaire. Pourtant, si on remonte aux origines la race humaine était nomade. On suivait les animaux qu’on chassait et on cherchait des températures clémentes. Il semblerait qu’aujourd’hui, la morphologie de certains oiseaux migrateurs se modifie à cause du réchauffement climatique. Leurs ailes se raccourcissent car ils n’ont plus autant besoin de se déplacer et de migrer. On associe souvent la liberté et le mouvement aux oiseaux. Leur vol se jouant des frontières. Pourtant eux comme nous voient leur liberté mise à mal.

Pascale Monnin  Les Augures ©S. Roisin

 Les Augures ©S. Roisin - 24x18cm, technique mixte, 2022.

La peur des déplacements de populations, des migrations est d’actualité et la peur de la propagation de la pandémie de Covid-19 a encore renforcé cette perception. La pandémie est à l’origine de la série « Une couronne tombe sur le monde », dont plusieurs œuvres sont nommées « Hommage à Hundertwasser » et sont actuellement présentées à Genève.

Pour cette série, je suis partie d’un petit format de Hundertwasser nommé Une goutte d’eau tombe sur la ville. Au premier regard, ce tableau peut paraître abstrait. Pourtant, quand on le regarde avec le titre en tête, on se retrouve sur une grande goutte d’eau et les petits carrés bleus au-dessous se transforment en ville. J’ai fait le portrait du virus, du corona en couronne, avec le monde en dessous. J’utilise aussi des chiffres dans mes tableaux. Il m’arrive de les utiliser comme élément décoratif mais parfois aussi ils sont codés et pourraient être déchiffrés. La gestion de cette pandémie m’a semblée étrange et parfois la réalité m’est apparue comme un code à déchiffrer pour comprendre ce que nous vivions. Bien évidemment, il s’agissait d’un méchant virus qui a fait de nombreuses victimes, mais à un niveau sociétal, je suis inquiète des conséquences générées par la coupure des rapports entre les différentes générations et le contrôle généralisé qu’il a permis.

Pascale Monnin ©S. Roisin

En ce moment, Haïti traverse une crise socio-politique sans précédents. Pensez-vous que la richesse artistique et culturelle haïtienne puisse contribuer à créer une « zone stable » dans le pays ?

Avec la Revue IntranQu’îllités, l’Association Passagers des Vents, la Galerie Monnin et aussi Le Centre d’art, j’ai beaucoup milité pour la reconnaissance de la richesse culturelle haïtienne. La stabilité politique est une réalité tangible qui a besoin d’un engagement au niveau politique. Les artistes haïtiens continuent de produire, d’exister mais ils s’épuisent. Ils ne sont ni protégés ni encouragés. La situation économique et sociale a des réelles conséquences sur le milieu et beaucoup des forces vives du pays quittent le territoire. Je ne pense pas que les artistes seuls puissent relever le pays. Les interrogations aujourd’hui ne se limitent pas seulement à Haïti. Il y a des grandes inquiétudes au niveau mondial. Certains artistes sont engagés dans la critique sociale, tandis que d’autres préfèrent construire un monde parallèle. Dans mon travail j’alterne entre ces deux aspirations. 

Histoire d’O :: Naissance et renaissance, peut être vu comme un appel au réveil à un niveau global aussi bien que personnel. Une aspiration à se réinventer à tout âge et aussi, au vu des changements écologiques alarmants, un appel pour une réinvention de notre manière d’être au monde. Je suis aussi très habitée par le devoir de mémoire. En 2012, j’ai fait un mémorial pour les disparus du tremblement de terre de 2010 dans le Parc de Martissant à Port-au- Prince et j’ai réfléchi á un mantra qui pourrait soigner : « Comment créer de la beauté avec ce qui est cassé ». Suite au tremblement de terre, on a beaucoup parlé de la résilience du peuple haïtien. À mon sens, on n’a pas suffisamment travaillé la mémoire et le deuil. Il faut regarder les traumatismes dans les yeux pour les dépasser. La situation de violence actuelle en Haïti me semble la preuve que la réponse nationale et internationale suite au 12 janvier 2010 et par la suite fut un échec. Par contre, il faut garder espoir en la jeunesse car une grande part de la population en Haïti et dans ses diasporas est otage et rêve d’un changement pour le meilleur.

Pascale Monnin @Robert Stephenson

Mémorial aux disparus du 12.01.2010 dans le Parc de Martissant ©Roberto Stephenson. « Des moulages de visages d'enfants vivants au moment du tremblement de terre pour interroger les disparus ». Comme matériaux, le ciment et le fer, instruments de destruction massive lors du séisme de 2010 qui, associés à des miroirs cassés, brisés, reflètent la lumière, créent la beauté pour reconstruire des visages lumineux et solaires. Œuvre commissionné par la FOKAL. 

Pour conclure, quels sont vos projets pour l’avenir, après cette exposition ?

Cet été je ferai une grande exposition au Grenier à sel à Honfleur. Un de mes mobiles sera exposé au Tropenmuseum à Amsterdam au courant de l’année 2023. Cette exposition à Genève est, je l’espère, une première qui sera suivie d’autres projets. Me reconnecter avec la Suisse est un de mes objectifs et j’espère que cette expérience génèrera d’autres projets et collaborations avec mon pays d’origine.

Propos recueillis par Lia Bagutti. Titulaire d'un diplôme Master en histoire de l'art, obtenu à l'Université Paris-Sorbonne en 2016. Depuis 2018 elle s'intéresse à l'art contemporain haïtien et travaille sur un projet de thèse de doctorat en histoire de l'art portant sur les artistes femmes en Haïti, de 1945 jusqu'à aujourd'hui.

 

https://www.artageneve.com/lieu/galeries/tcarmine-fine-art

L’exposition de Pascale Monnin est présentée à l’Espace T-Carmine, rue des Maraîchers 10 bis, 1205 Genève, du 17 novembre au 29 décembre 2022.

Finissage le 29 décembre à 18h en présence de l’artiste.

Silvana Moï Virchaux et Pascale Monnin à l'Espace Galerie TCarmine T- Copyright S. Roisin

 

Liens :

Dakar

https://challengesnews.com/pascale-monnin-reine-de-dakart/

Mémorial aux disparus du tremblement de terre

http://vimeo.com/115856085

Une couronne tombe sur le monde

https://www.youtube.com/watch?v=ti3i8Qy6wwo

Résidence à Trinidad et Tobago

https://globalvoices.org/2022/03/15/were-passing-by-a-conversation-with-haitian-contemporary-artist-pascale-monnin/

Exposition Enfance et autres bazars

https://www.rfi.fr/fr/emission/20161223-haiti-exposition-pascale-monnin-enfance-autres-bazars

Instagram Pascale Monnin

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Wikipedia Pascale Monnin

https://fr.wikipedia.org/wiki/Pascale_Monnin